Lutte de classe en Iran
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Alternative Workers News Iran est un réseau international auquel participe Solidarité Socialiste avec les Travailleurs d’Iran, organisation membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Le dernier numéro de leur bulletin d’information nous livre, comme toujours, des informations intéressantes sur la situation sociale en Iran, les luttes ouvrières dans le pays ; sans mésestimer par exemple les luttes féministes, les combats pour les droits des femmes, particulièrement importants dans ce pays.
L’ampleur de la répression exercée par le régime iranien
Sur leur site, les camarades de SSTI présente cette actualité, horrible, révoltante et qui doit être source de solidarité syndicale internationale plus forte qu’actuellement. À la date du 26 novembre 2023, depuis le début du soulèvement « Femme, Vie, Liberté » :
- plus de 469 personnes, dont 60 adolescentes et adolescents, ont été tuées par les forces iraniennes de sécurité ;
- Plus de 22 000 ont été arrêtées ;
- 16 femmes ont été exécutées, depuis le 1er janvier de cette année ;
- Au total, 674 personnes ont été exécutées, depuis le 1er janvier de cette année ;
- 7 669 personnes ont été exécutées depuis 2010, dont 204 femmes et 69 adolescent·es.
Cette situation a d’ailleurs amené l’intersyndicale française active sur l’Iran depuis des années (CFDT, CGT, UNSA, Solidaires, FSU) à publier un communiqué, le 4 décembre :
« […] Face à la montée de la colère sociale et populaire liée à la crise économique, le régime dictatorial accentue la répression en profitant du détournement de l’opinion publique mondiale vers de l’actuelle guerre à Gaza. On note une nette augmentation du nombre d’arrestations d’activistes ouvrier·ères sous des prétextes fallacieux : les autorités iraniennes ciblent de plus en plus des travailleurs, travailleuses et retraité·es accusé·es d’avoir organisé des manifestations pacifiques contre la cherté de la vie et les arriérés de salaires. La liste des arrestations et emprisonnements ne cesse de s’allonger. Parmi les plus récentes on peut mentionner : Reyhaneh Ansarinezhad (une militante ouvrière) ; Osman Esmaili, Esmail Guerami et Kamran Sakhtemangar (des ouvriers retraités et anciens détenus) ; Reza Aghdasi (travailleur licencié, invalide malade et sourd). La répression frappe également nombre de personnes soutenant les salarié·es, exprimant des opinions ou convictions opposées à celles du régime, des avocat·es, des défenseurs et défenseuses des droits des femmes et des droits humains, etc.
Les femmes sont les premières victimes de ce régime autoritaire et patriarcal où le contrôle de leurs corps constitue l’un des piliers de ce régime. Après 28 jours de coma, l’étudiante Armita Gavarand s’est éteinte samedi 28 octobre. Âgée de 16 ans et originaire d’une région kurde, l’adolescente avait subi une violente altercation avec la police des mœurs du métro de Téhéran parce qu’elle ne portait pas de foulard.
Le pouvoir multiplie les exécutions, notamment publiques, pour tenter de terroriser la population : depuis le 7 octobre, le régime a exécuté plus de 120 personnes dont des dizaines d’opposant·es politiques et de militant·es des mouvements sociaux. Parmi ces victimes figure le prisonnier politique kurde Qassem Abasteh, exécuté après 14 ans d’emprisonnement. Il avait été arrêté en 2008 pour “propagande contre le régime”. Citons également Milade Zohre-Vand, un jeune ayant participé à des manifestations dans le cadre du mouvement Femme, Vie, Liberté.
La solidarité internationale est essentielle. Nous appelons toutes les organisations et personnes défendant les droits humains et ceux des travailleurs et travailleuses à protester auprès des autorités iraniennes. Les organisations syndicales françaises réaffirment leur solidarité avec les victimes de la répression. Elles condamnent avec force cette politique insupportable. Elles demandent :
- L’abolition de la peine de mort,
- L’annulation de toutes les condamnations injustes et contraires aux libertés et droits fondamentaux ;
- La libération immédiate et sans condition de l’ensemble des militant·es emprisonné·es en raison de leurs opinions ou de leurs activités syndicales et associatives, ainsi que des citoyen·nes étranger.es dont Cécile Kohler et Jacques Paris ; nous demandons également l’arrêt des poursuites dont ils et elles font l’objet ;
- Le respect par le régime iranien des conventions internationales et notamment celles de l’Organisation internationale du travail (OIT), dont celles concernant la liberté d’association, de manifestation, de grève et de négociation collective. »
« Il est nécessaire de s’organiser et de descendre dans la rue »
C’est l’appel lancé [1], depuis la prison d’Evin où il est de nouveau enfermé, par Reza Shahabi, militant du syndicat des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED) :
« […] en dépit de ses slogans sur le contrôle de l’inflation et la croissance économique, le pouvoir est concrètement incapable de répondre aux problèmes de manière appropriée. Il ne prête aucune attention aux organisations syndicales et au tripartisme figurant dans les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les salaires ne sont pas augmentés en fonction de l’inflation actuelle. Ces discussions sont absolument inutiles si on ne s’attaque pas à l’une des racines les plus importantes des problèmes, à savoir la répression sévère de toutes les organisations indépendantes.
[…] Ces dernières années, une poignée d’organisations indépendantes, ont été créées : le Syndicat des travailleurs de la compagnie d’autobus de Téhéran et de sa banlieue (Vahed), le Syndicat des travailleurs de la sucrerie de Haft Tappeh, les syndicats d’enseignants, des organisations indépendantes de retraité·es, le syndicat des écrivains et écrivaines, etc. Et cela malgré des milliers d’obstacles systématiques et une répression multiforme : beaucoup de leurs membres ont été soit licenciés et arrêtés, soit toujours en prison, sous la surveillance et le contrôle permanents des forces sécuritaires.
Ce n’est que si de telles organisations se développent et jouent leur rôle, avec le soutien et l’implication maximum des travailleurs et travailleuses, que le gouvernement et les autres petits et grands employeurs seront forcés de prendre en compte nos droits en respectant les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) dont ceux des enfants et des femmes, ainsi que les conditions de vie des travailleurs et travailleuses.
Il est évident que les soi-disant organisations syndicales artificielles telles que le Conseil islamique du travail, la Maison du travail, l’Assemblée des représentants, etc. ne mettent pas la pression sur le gouvernement parce que les personnes à la tête de ces organisations sont des personnes qui agissent à leur guise et n’ont jamais été démocratiquement élues. Mais les travailleurs et travailleuses, les militants et militantes syndicaux indépendants savent que ces faux représentants n’ont pas le soutien des travailleurs et travailleuses et qu’ils sont dans l’incapacité de gagner leur confiance.
Nous voulons :
- en finit avec les millions de cas de chômage et de malnutrition,
- améliorer les conditions de l’ensemble du monde du travail,
- mettre un terme aux anomalies sociales comme la criminalité, le vol, les fugues, les meurtres familiaux, la toxicomanie, le fait de se retrouver sans-abri. Les causes fondamentales de toutes ces anomalies sociales sont l’exploitation, le chômage, la pauvreté, l’instabilité et l’insécurité de l’emploi et de l’accès aux moyens de subsistance, toutes sortes de discriminations et de doubles oppressions.
Pour y parvenir, nous ne devons pas avoir peur de déclarer que les travailleurs et travailleuses n’obtiendront rien avec les promesses vides du gouvernement, des autorités en place et des organisations syndicales-bidons mises en place par le pouvoir. Nous ne faisons confiance à aucune entité ou organisation liée au pouvoir en place, et nous savons que le temps des tentatives d’apaisement est arrivé à son terme.
Nos jeunes sont assassinés tous les jours, et tout ce que nous avons obtenu jusqu’à présent ne l’a été que par la démonstration du véritable pouvoir des travailleurs, de la solidarité et de l’unité de tous les travailleurs et des opprimés, ainsi qu’en s’organisant et en occupant les rues.
Par conséquent, parler de revalorisation des salaires et d’amélioration des conditions de travail sans insister sur la nécessité d’une organisation indépendante et nationale des travailleurs, et sans essayer de mettre en œuvre nos droits fondamentaux tels que ceux de se réunir, de protester, de faire grève, de manifester dans la rue afin de faire avancer les revendications des travailleurs, serait futile et même trompeur. »
Mobilisation dans le secteur pétrolier [2]
Depuis des mois, les travailleurs et travailleuses des secteurs du pétrole, du gaz et de la pétrochimie se mobilisent par intermittence. Cette nouvelle vague de mobilisation a débuté en octobre 2022. Selon les informations publiées lundi 25 septembre par des salarié·es, un certain nombre de travailleurs et travailleuses licencié·es par l’un des prestataires de la Compagnie de raffinage de gaz Howeyzeh s’étaient rassemblés devant l’entreprise, pour faire entendre leurs revendications.
Ces salarié·es ayant des contrats à court terme de trois mois, étaient mobilisé·es contre la décision de les licencier. Ils et elles ont exigé de retrouver leur emploi en bloquant l’entrée de l’entreprise. Lundi 2 octobre, les employé·es des plates-formes offshore de deux compagnies pétrolières et gazières iraniennes (Plateau et Pars Oil) se sont rassemblé·es sur leur lieu de travail pour protester contre la fixation d’un plafonnement illégal des salaires. Selon les déclarations des travailleurs et travailleuses de ces deux entreprises, ces mobilisations se poursuivront jusqu’à ce que les autorités réagissent et lèvent cette mesure. Tous les lundis, ils et elles se mobiliseront contre cette réduction illégale de leurs salaires.
Le 9 octobre, les employé·es d’Arkan-e-Salés se sont rassemblé·es dans la raffinerie de pétrole d’Abadan pour protester contre les mauvaises conditions de vie ainsi que l’absence de sécurité de l’emploi. Ils et elles ont exigé la suppression des sociétés d’intérim et de prestation de services. Dans cette raffinerie, environ quatre mille travailleurs et travailleuses sont soumis·es à de mauvaises conditions de travail et de vie et n’ont aucune garantie de l’emploi. Ces salarié·es veulent obtenir :
- l’attribution des bons d’achat pour les hydrocarbures,
- la suppression des discriminations entre salarié·es pour l’accès aux prestations sociales,
- l’amélioration des grilles de classification de l’ensemble du personnel,
- le paiement des arriérés de salaires.
Les exigences d’arrêt du recours à la sous-traitance, d’augmentation des salaires et de sécurité au travail font partie des revendications nationales des salarié·es du secteur pétrolier. Tous les lundis, les travailleurs et travailleuses de ce secteur manifestent pour les faire aboutir.
Le lundi 16 octobre, le personnel du ministère du pétrole travaillant sur les plateformes de Forozan, Abu Zar et Behrgansar de la Continental Plateau Oil Company, ainsi que celui de l’Aghajari Oil and Gas Operating Company, a demandé la suppression du plafonnement des salaires, la suppression des attaques contre les retraites, la restitution des retenues fiscales indûment effectuées ainsi que la pleine application de l’article 10 de la loi du travail. Par ailleurs, le 18 octobre, les salarié·es titulaires de l’Aghajari Oil and Gas Operating Company se sont rassemblés une fois de plus pour protester contre le plafonnement de leurs salaires. Les revendications urgentes de ces employé·es sont la suppression du plafond salarial et des attaques contre les retraites, ainsi que la restitution des retenues fiscales indûment effectuées.
Les principales revendications des travailleurs et travailleuses contractuel·les sont en général la fin du recours à la sous-traitance, la suppression des discriminations, ainsi que l’obtention des mêmes conditions juridiques et sociales que les titulaires effectuant le même travail. Le lundi est le jour où les salarié·es du pétrole ont décidé de se mobiliser jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.
Au cours des dernières années, les travailleurs et travailleuses de l’industrie pétrolière ont, à plusieurs reprises, organisé des mobilisations sous diverses formes, y compris par des manifestations de masse et des grèves, afin d’obtenir gain de cause. Depuis le début de l’année, les protestations des salarié·es du secteur pétrolier ont repris incluant leurs revendications spécifiques, et les travailleurs et travailleuses du pétrole ont fait de nombreux jours en grève. Cette série de grèves a été très étendue et plus d’une centaine d’unités de production y ont participé.
Le 8 juillet dernier, un certain nombre de travailleurs et travailleuses de l’Arkan-e-Salés du ministère du pétrole sont venu·es à Téhéran pour protester contre la non-application du plan de suppression de la sous-traitance. Ils et elles se sont rassemblé·es devant le siège de la direction. La principale revendication de ces salarié·es était l’arrêt de la sous-traitance. Ces travailleurs et travailleuses ont déclaré, dans une interview accordée à l’une des agences de presse gouvernementales, que près de 105 000 personnes travaillant dans des compagnies d’État du secteur des hydrocarbures demandent l’arrêt de la sous-traitance et des embauches directes par le ministère du pétrole.
Depuis cette date, d’autres mobilisations ont eu lieu dans le secteur pétrolier et gazier, et elles se poursuivent jusqu’à présent. La décision des salarié·es contractuel·les de se rassembler à nouveau à Téhéran, ainsi que la mobilisation des lundis ont fait entrer les protestations des travailleurs et travailleuses du pétrole dans un nouveau cycle de mobilisation. Face à la résistance du gouvernement et des sous-traitants aux revendications fondamentales des travailleurs et travailleuses du pétrole, du gaz et de la pétrochimie au cours de l’année écoulée, les syndicalistes et les grévistes avancent quatre propositions :
- Mettre l’accent sur les revendications fondamentales communes dans le but de faire croître le nombre de salarié·es participant de façon régulière à des mobilisations répétées :
- Organiser de façon indépendante les travailleurs et travailleuses dans le but d’une auto-organisation durable des salarié·es sur la base de mobilisations régulières ;
- Renforcer la communication entre les travailleurs et travailleuses, sur la base d’informations et de comptes-rendus émanant directement des salarié·es et concernant les mobilisations et les grèves ;
- Attirer le soutien et la solidarité de syndicats et de structures syndicales internationales.
Une combinaison efficace de ces propositions augmenterait la probabilité que les travailleurs et travailleuses obtiennent la satisfaction de leurs revendications ; elle créerait une étape qualitative efficace dans l’avancée du mouvement revendicatif et constituerait un facteur de renforcement du mouvement ouvrier et de la lutte des classes.
[1] Le texte complet, repris du bulletin AWNI n°189, est disponible sur le site du Réseau syndical international de solidarité et de lutte, en anglais et en français. Traduction : Alain Baron (Union syndicale Solidaires).
[2] Texte original dans le bulletin AWNI n°189. Traduction : Alain Baron.
