Considérations sur la syndicalisation des « travailleureuses du sexe »
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pour Jean-Yves LesageSyndicalistes a publié plusieurs articles au sujet de la syndicalisation du travail du sexe, racontant des expériences concrètes de luttes et d’organisation en syndicats. Dans cette contribution, un camarade examine la perspective sous l’angle de la création d’une fédération dédiée au sein des confédérations existantes. Il pose un certain nombre de questions – qui ne manqueront pas d’être creusées par de futurs articles venant poursuivre cette discussion.
Depuis quelques milieux militants, souvent extérieurs au syndicalisme, injonction est faite aux militants syndicalistes révolutionnaires de créer les conditions de la syndicalisation des « TDS ». Cette injonction ne semble pas venir vraiment des premières concernées mais plutôt d’une vision idéologique brandie avec une dimension substitutiste problématique. Idéologie qui impose comme un pré-supposé : les « TDS » exercent un métier comme un autre. L’intégration de ces travailleuses dans les outils syndicaux devient alors une évidence de solidarité prolétarienne.
D’un point de vue marxiste, la valeur d’usage de ce travail n’est pourtant établie qu’à condition de considérer, comme les vieux réactionnaires hypocrites, que les hommes qui ont recours à la prostitution sont autant de violeurs en moins puisque leurs couilles sont vidangées régulièrement. Ou encore de postuler que les prostituées protègent les femmes en couple hétérosexuel d’avoir à accomplir, ce que les curés dans le secret du confessionnal, nomment encore « le devoir conjugal ». Soit une négation des bases féministes exigeant simplement que les hommes contrôlent leurs pulsions. Ou encore une acceptation de la marchandisation des rapports sexuels, c’est-à-dire dans une société patriarcale, l’acception de l’idée que le consentement des femmes pourrait s’acheter ; et leur silence avec.
Mais puisque la question nous est posée de manière récurrente, examinons sérieusement l’hypothèse.
Le travail du sexe reposant sur des réalités très diverses (prostitution de rue, par internet, camgirls sur plateformes spécialisées, sugar daddies…) il est probable que, comme dans toutes les industries, les premiers succès de syndicalisation se feront sur des bases corporatistes, par métiers. Notre premier défi sera donc de faire prévaloir, en syndicalistes révolutionnaires cohérents, la notion de syndicalisme d’industrie, laissant néanmoins une place aux spécificités corporatistes, afin de faire émerger une convention collective prenant en compte les réalités des différentes facettes du travail du sexe. Soit un syndicat sur un territoire qui regrouperait une section prostitution de rue, une section cam-girl, une section escort, une section sugar dady… Syndicats locaux qui se retrouveraient dans une fédération nationale des « TDS ». Fédération elle-même intégrée à une confédération générale des fédérations professionnelles. Notons que les actrices et acteurs pornographiques ou les stripteaseuses relèvent déjà de fédérations syndicales pré-existantes dans le spectacle et que quelques querelles bureaucratiques sont à prévoir sur la répartition des champs de syndicalisation entre structures d’une même confédération. Pour la collecte des cotisations et la surface de « pouvoirs » des bureaucraties qui sont liés à la surface du segment économique où elles sont les interlocuteurs des patrons.
La construction d’une convention collective et son amélioration constante sont les perspectives majeures, avant la révolution sociale, du syndicalisme. Sa mise en place suppose la signature d’un document entre les syndicats patronaux et les syndicats de travailleurs de la branche. Elle ne s’applique d’abord qu’aux salariées des patrons signataires. Si le cap indispensable de 5 000 salarié.es exigé à ce jour n’est pas un obstacle, la convention doit également être validée par l’État pour être « étendue », par décret du ministre du Travail, à toutes les salariées de la profession. Cette extension administrative est décisive pour la pérennité de l’accord, les conditions de concurrence entre patrons et le bénéfice des acquis aux salariées sans rapport de force collectif construit vis-à-vis de leur patron.
Le réacteur nucléaire d’une convention collective c’est l’élaboration des coefficients de qualification professionnelle reposant sur des diplômes reconnus et la détermination de salaires minimum pour chaque coefficient. Ce qui ouvre des champs d’interventions complexes à commencer dans le système scolaire, l’éducation professionnelle et la formation professionnelle continue.
Dans le champ du syndicalisme enseignant il s’agira donc de peser dans les programmes d’éducation à la vie affective et sexuelle pour présenter les métiers « TDS » comme des métiers parmi d’autres. Et ouvrir un temps pour former les futurs clients potentiels à des pratiques bienveillantes. En déterminant les étapes par classes d’âges.
En impliquant les associations de parents d’élèves, il faudra organiser un cursus scolaire. A quel moment on oriente les jeunes vers des diplômes qualifiants leur permettant de viser des emplois mieux rémunérés sur des pratiques d’avenir ? Dès le brevet des collèges ? En construisant des parcours avec spécialités au lycée ? Après le bac avec des niveaux BTS ? Ou bien en filière universitaire avec la perspective d’obtenir des thèses afin de recruter le personnel enseignant suffisamment qualifié pour enseigner la théorie et la pratique du « TDS » ?
Des questions plus précises encore vont se poser aux syndicats enseignants : quelle part entre enseignement théorique et enseignement pratique ? À quelles évaluations théoriques et pratiques
soumettre les élèves ? Quelles brochures élaborer pour les personnels dédiés à l’orientation professionnelle ? Quelles écoles supérieures valider dans Parcours sup ? La bonne nouvelle c’est que les pères d’élèves seront soudainement plus assidus aux réunions parents/profs et autres salons « découverte des métiers »…
Une fois ces bases établies de nouvelles questions vont devoir être réfléchies par les organisations syndicales :
Sur quels programmes, avec quelles formations et quelles validations construire les filières d’apprentissage et d’alternance ?
Comment établir une grille de salaires minimum entre-temps de travail réel et niveau de qualification des actes ? Comment prendre en compte les heures d’astreintes à attendre le client ? Comment faire payer par les patrons les outils de travail et les équipements de protection individuelle ? Comment traiter la pénibilité du travail dans le dossier retraite des « TDS » ?
Comment faire payer par les cotisations patronales un haut niveau de protection santé, de formation professionnelle et d’opérations esthétiques tout au long de la vie pour maintenir l’employabilité des « TDS » jusqu’à la retraite ?
Un point particulier concerne les personnes en transition de genre qui subissent une quasi-exclusion dans l’accès à l’emploi et pour lesquelles le « TDS » est l’ultime solution pour gagner sa vie. Le syndicalisme devra-t-il agir pour renforcer le recours au « TDS » ou pour obtenir la fin de toute discrimination à leur encontre ?
Reste une question encore : faut-il, puisque la majorité des « TDS » ne sont pas salariées, revendiquer comme pour les métiers uberisés, la reconnaissance d’un lien de subordination à un patron et lequel quand les réseaux maffieux internationaux gèrent une part majoritaire de la main d’œuvre ?
La grève est la seule arme efficace des travailleurs et travailleuses, pour des acquis sociaux immédiats. Mais pour les syndicalistes révolutionnaires la grève partielle est selon la formule bien connue comme un exercice de gymnastique pour préparer notre classe à la grève générale expropriatrice. Faut-il en attendant soutenir la création de coopératives des « TDS » contre un patronat proxénète ? Et quelles perspectives autogestionnaires voulons nous construire dans une perspective communiste libertaire pour l’activité des « TDS » ?
Que l’on parte d’une position abolitionniste ou règlementariste, et les partisans de chaque position ont des arguments qui s’entendent, il ne semble pas que la syndicalisation dans une confédération de salarié.es soit le chemin adéquat pour qui veut, pour elle-même ou en solidarité, défendre les « TDS ».