S’organiser syndicalement dans le travail du sexe. Entretien avec les CATS
Publié le par pour Al de QPT
Le CATS est le comité autonome des travailleuses du sexe de Montréal. Fondé par d’anciennes militantes des CUTES (Comités unitaires sur le travail étudiant) qui ont organisé la grève des stages entre 2019 et 2021 et revendiqué un salaire étudiant, le CATS prolonge cette lutte : il met au centre de son action la question des formes de travail qui ne sont pas reconnues comme telles, des conditions de travail des femmes précaires, ainsi que de leur organisation et de la construction d’un rapport de force en leur faveur.
Cet article est le résultat d’un entretien avec Adore Goldman, une des fondatrices du collectif, venue en Europe notamment pour discuter avec des travailleuses du sexe et/ou syndicalistes de ce côté de l’Atlantique. Le CATS publie annuellement le magazine CATS Attaque ! qui est une mine d’or d’analyse politique, de récit de travailleuses et de points sur les conditions de travail dans l’industrie du sexe.
Adore, est-ce que tu peux me raconter comment vous en êtes arrivées à fonder le CATS ?
On était deux à avoir participé à la campagne de mobilisation pour un salaire étudiant au Québec en 2018. Pendant ce mouvement j’étais à la fois stagiaire et travailleuse du sexe, donc c’était assez facile de faire le lien entre les deux. Il s’agit à chaque fois de travail du soin majoritairement fait par des femmes, peu ou pas reconnu comme travail, et pas ou mal rémunéré.
À la fin des grèves étudiantes organisées en 2019, les CUTES ont décidé de se dissoudre. C’est là que s’est formé le CATS. Le lien entre travail reproductif, grève pour le salaire ménager, et grève des travailleuses du sexe avait déjà été fait dans la campagne de mobilisation pour un salaire au travail ménager (Wages for Housework) dans les années 1970.
Quels sont les buts du CATS ?
On s’est donné plusieurs objectifs. D’abord l’amélioration concrète des conditions de travail des travailleuses du sexe, dès maintenant. Et donc aussi la décriminalisation du travail du sexe.
Et qu’est ce que vous faites concrètement ?
On a plusieurs moyens d’action. On a d’abord une organisation de base qui consiste à organiser des manifestation spécifiquement sur le travail du sexe ou à participer aux manifestations de travailleureuses en tant que TDS, comme le 1er mai par exemple. On fait aussi des projections et des discussions ouvertes, par exemple on a passé Live Nude Girls Unite sur les strip teaseuses du Lusty Lady qui ont fait grèvedans les années 1990, et il y avait une des strippeuse du Star Garden, qui s’est aussi syndiqué en 2023, qui était en visio.
Globalement on préfère être dans l’action et l’organisation quotidienne sur les lieux de travail que mettre toute notre énergie dans le lobbying.
Quelles sont les cadres légaux du TDS au Québec ?
Le cadre légal canadien est similaire à celui de la France. Le travail du sexe est légal mais les tierces parties qui en bénéficies et les clients sont criminalisés. C’est ce qu’on appelle le modèle nordique.
Et pourquoi pas vous concentrer sur la décriminalisation ?
On se concentre pas sur le lobbying pro-décriminalisation parce que d’autres assos se focalisent déjà dessus. On préfère mettre notre énergie dans l’auto-organisation des travailleuses sur leurs lieux de travail. Et aussi on est assez claires que la décriminalisation complète de ce travail ne va pas changer foncièrement ses conditions d’exercice. Ce n’est pas que les lois qui changent véritablement les conditions de travail, c’est le rapport de force. Dans le travail formel, légal, il faut tout de même lutter, il faut une organisation des travailleuses et des travailleurs. Par exemple dans les strips clubs qui sont légaux, il y a quand même des trucs shady [obscures, malhonnêtes] qui se passent. Mais on ne veut pas faire fermer les strip-clubs car les travailleuses ne veulent pas perdre leur travail. On prend souvent l’exemple des migrants qui viennent au Canada pour travailler dans l’agriculture. Ce sont des contrats courts, les conditions de travail sont très mauvaises et très dangereuses. Pourtant personne n’essaie d’interdire l’agriculture.
Et comment vous fonctionnez ?
On est une dizaine de membres stables et on organisent des réunions mensuelles ouvertes. Les présentes se répartissent les tâches à faire entre les réunions mensuelles. Entre les réunions on fonctionne par sorte de commissions pour avancer sur les différentes tâches et projets. Les effectifs sont mouvants, y’a pas de carte d’adhérant·e au CATS.
Ce n’est pas une association tu veux dire ?
Oui, tu ne peux pas adhérer et il n’y a pas de cotisations versées au collectif. Il ne peut pas y’avoir d’argent qui transite par le collectif car jusqu’à il n’y a pas longtemps la loi prévoyait que de telles cotisations étaient illégales. Mais suite à un procès récent devant la Cour Suprême de l’Ontario, l’interprétation de la loi a changé. La Cour a affirmé que les travailleuses du sexe pouvaient former des associations et des syndicats, et récolter des cotisations pour ça, s’il n’y a pas de but lucratif. Donc ça devient peut-être possible de monter un syndicat officiel sur un lieu de travail.
Et vous avez évoqué l’idée de fonctionner comme une coopérative, même informelle ?
Non, parce que notre but c’est vraiment de nous organiser sur les lieux de travail déjà existants. Par exemple en ce moment, on est focalisée sur l’organisation dans les salons de massage. Par ailleurs, cette organisation de base peut mener à une décriminalisation car s’il y a un conflit entre les travailleuses d’un salon et les patrons, l’État devra trancher sur la possibilité même de ce conflit, et la possibilité pour les travailleuses de se constituer en syndicats.
Et il y a déjà eu des conflits ou des grèves dans ces salons de massage ?
Non. On a mené des sortes d’enquêtes ouvrières parmi les travailleuses. On a fait une quinzaine d’entretiens avec des masseuses pour comprendre leurs conditions de travail, leurs conditions de vie et leur moyens de résistance au travail. Notre enquête montre sans surprise que les personnes qui font du travail du sexe sont des femmes précaires qui améliorent leur condition économique en faisant plusieurs formes de travail du sexe ou cumulent le travail du sexe avec un emploi formel. Jongler entre ces différentes activités est en soi un critère de vulnérabilité et de pénibilité du travail. Mais paradoxalement cela rend aussi plus facile le changement de salon employeur quand tu en es licenciée. Tu préfères ne pas perdre de temps à te battre et chercher un autre salon. Et puis tu n’as pas forcément envie de lutter pour garder ton emploi dans ce salon qui t’as maltraitée.
C’est difficile de construire du collectif dans ces conditions. Il y a également des dispositifs patronaux pour mettre en concurrence les travailleuses. Par exemple, normalement ce sont les masseuses qui fixent le prix de leurs "extras" [actes sexuels], mais dans certains cas ce sont les patrons qui posent un minimum et un maximum à ces prix. Suite à l’enquête on a posé comme revendication que les tarifs soient décidés collectivement par les travailleuses, sinon la mise en concurrence entre elles tire les tarifs à la baisse et nuit à la solidarité.
C’est hyper chouette comme enquête, on pourra la consulter ?
Le but c’est que les résultats soient présentés devant les répondantes et leurs collègues. On espère que les informations collectées vont permettre de s’organiser, et d’avoir des retours sur les revendications qui en émergent.
Est-ce que pour l’instant les travailleuses du sexe peuvent s’appuyer sur les syndicats déjà existants ?
Les centrales syndicales québécoises ont toutes des positions abolitionnistes. La CSN [Confédération des syndicats nationaux] qui est le syndicat le plus à gauche du Québec, est elle-même contre la reconnaissance du travail du sexe comme travail. En 2019 la Fédération des femmes du Québec a voté une motion, qui ne visait même pas à changer la position vis-à-vis du travail du sexe a proprement parlé, mais juste à reconnaître que les travailleuses du sexe ont de l’agentivité – c’est à dire une certaine capacité de prendre des décisions pour elles mêmes. Suite à ça, les syndicats sont directement sortis de la Fédération des femmes du Québec.
Mais il y a une opposition de fond entre les syndicats et le CATS ?
Au CATS on ne tient pas du tout la position qui est de dire que le travail du sexe est émancipateur, que c’est une activité libératrice etc. Nous ce qu’on dit c’est que le travail est un continuum d’exploitation dont le travail du sexe fait partie.
Au sein des syndicats ce sont les comités femmes qui sont les plus véhéments pour bloquer l’avancée des questions liées au travail du sexe. Nous notre stratégie, c’est de faire avancer la cause dans les syndicats locaux. On veut faire voter des motions favorables aux travailleuses du sexe, qui feraient ensuite pression sur les centrales syndicales. On cherche notamment à faire des alliances sur d’autres thématiques sur lesquelles les syndicats ont lâché les travailleuses ou les ont trahies, notamment avec celles qui s’organisent contre la loi qui interdit le hijab dans les services publics.
Encore une fois faire du lobbying à des hauts niveaux nous semble moins intéressant que de travailler auprès de nos camarades syndicalistes et de faire changer les travailleurs de base eux mêmes. Je suis syndiquée à la CSN, du coup ma section locale a une position pour la reconnaissance des TDS.
Au Québec tout le monde est syndiqué de facto s’il y a eu un vote pour ça dans ce secteur de travail. La situation semble moins tendue qu’en France par rapport aux abolos. Depuis 2019 y’a pas eu d’abolitionnistes venues nous écœurer durant des évènements où on prenait la parole. Mais elles sont toujours dans des lieux de pouvoir, à l’université etc.
Et c’est quoi vos rapports avec les collectifs militants féministes ?
Dans les groupes féministes de base, les positions sont moins homogènes qu’auparavant où les positions abolos étaient beaucoup plus consensuelles. À Québec les associations de lutte contre les violences sexuelles sont très abolitionnistes. Récemment un des centre communautaire de lutte contre les violences a pris position pour la reconnaissance du travail du sexe, et s’est fait jeter de la coalition nationale. Autre exemple : il y a une manifestation qui est organisée par la Coalition Against Prostitution. Une contre-manifestation a été organisée et le CATS a appelé les associations féministes à s’y joindre. La plupart n’ont pas voulu prendre position en disant qu’il y aura une partie de leurs membres à chaque manifestation. Disons que c’est pas unanime, mais c’est pas gagné.
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