Que faire d’une victoire juridique ? Reprendre nos congés payés – Action juridique #2
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Au mois de septembre 2023, les syndicats français ont remporté une victoire importante pour les droits des salarié·es en matière de congés payés. Cette avancée n’est pas passée inaperçue, mais elle n’a tout de même pas reçu l’écho qu’elle méritait. Et pour cause : elle n’a pas été obtenue par une spectaculaire mobilisation dans la rue, mais suite à une longue et fastidieuse procédure juridique qui a connu de nombreux rebondissements.
L’obtention d’une jurisprudence favorable
Actuellement, le Code du travail dispose que chaque mois travaillé ouvre droit à 2,5 jours de congés. Mais il exclut de la définition du temps travaillé le temps passé en arrêt maladie ordinaire (non lié à une maladie d’origine professionnelle). Pourtant, quand on est malade, on ne se repose pas, et même le droit européen le dit. Suite à une longue bataille devant les tribunaux [1], la CGT, Solidaires et FO ont fait condamner l’État en appel [2] pour non-transposition de la directive européenne relative au temps de travail [3]. Puis la Cour de cassation a rendu une série de décisions dont voici le contenu :
- La durée d’arrêt pour maladie ou accident du travail prise en compte pour le calcul des congés payés n’est plus limitée à un an, contrairement à ce que prévoit le Code du travail [4] ;
- Les salarié·es en arrêt maladie (quelle qu’en soit la raison) acquièrent des congés payés au cours de cet arrêt ;
- Les congés payés non pris au début d’un congé parental d’éducation doivent désormais être reportés à la date de reprise du travail ;
- Le point de départ du délai de prescription à partir duquel on ne peut plus réclamer ses congés (fixé à trois ans) ne commence à courir qu’à partir du moment où l’employeur a mis en demeure læ salarié·e de prendre ses congés.
Nous sommes donc dans une situation où la France freine autant que possible l’application d’un droit européen plus favorable que le droit national, conduisant les juges à écarter certaines dispositions du Code du travail dans leurs arrêts. Les arrêts rendus par la Cour de cassation ont provoqué une certaine panique au sein du patronat, appelant l’État à réagir face à une décision qui « risque de coûter plusieurs milliards d’euros chaque année aux entreprises françaises » [5]. Même si ces craintes sont (malheureusement) très exagérées [6], Élisabeth Borne, alors première ministre, s’était rapidement engagée à « réduire au maximum l’impact de cette décision » au moment de la transposer dans le Code du travail, probablement en limitant la rétroactivité des droits à congés.
De la victoire juridique à l’avancée sociale
La jurisprudence est là. Reste à la transformer en amélioration concrète de la situation des travailleureuses. Pour y arriver, pas d’autre choix que de porter cette décision à la connaissance des salarié·es, les aider à faire valoir leurs droits. C’est là le rôle de nos structures syndicales : s’assurer que tous les syndicats aient en main les informations et le matériel nécessaire pour porter la décision à la connaissance des salarié·es de leur entreprise, puis les accompagner en justice si nécessaire.
C’est là une occasion en or pour faire valoir l’utilité du syndicalisme auprès de nos collègues éloigné·es de toute action militante. Dans les entreprises où nous avons une implantation, comme dans celles où nous n’en avons pas, il faut au minimum distribuer un tract annonçant la couleur : si vous avez connu des périodes d’arrêt maladie, alors on vous a volé des congés, et nous allons les reprendre.
Plusieurs jugements ont commencé à tomber sur le sujet, en appel mais aussi en conseil de prud’hommes, où les dispositions du Code du travail sont écartées en raison de l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les employeurs sont condamnés à recréditer le compte de congés payés des salarié·es ou à verser des sommes qui peuvent attendre plusieurs milliers d’euros pour les arrêts les plus longs et les salaires les plus élevés. Une Cour d’appel a confirmé récemment que la formation en référé était compétente pour juger de cette question des congés payés, ce qui permet d’obtenir gain de cause plus rapidement [7].
L’occasion de faire confédération
À notre connaissance, aucun syndicat n’a impulsé de vraie campagne générale sur le sujet. Le collectif Droits, libertés, et action juridique de la CGT [8] a au moins fourni un courrier-type et un modèle de conclusion pour audience devant le conseil des prud’hommes. Mais ces documents sont venus s’entasser dans des boîtes mails déjà surchargées, et il est probable que la grande majorité des militant·es, et même des camarades ayant un mandat juridique, ne s’en soient pas emparé·es.
Les situations locales sont très contrastées d’un département et d’une fédération à l’autre. Ainsi, dans une UD CGT, on peut entendre un défenseur dire à un secrétaire d’un syndicat important qu’il porte deux affaires sur cette question. Et l’autre de répondre : « ah oui, j’en ai parlé à un copain du syndicat pour informer les salarié·es et voir si des dossiers pourront être déposés au conseil des prud’hommes ». Au moins quelque-chose est fait, mais le partage de l’info du dépôt de requêtes CPH à un défenseur de son UL ne devrait pas dépendre du hasard d’une conversation informelle. Dans certaines UD CGT, dotées d’un DLAJ fonctionnel, il y a un défenseur·e permanent·e qui coordonne une équipe de défenseur·es, de la formation, etc. Mais tout dépend de là où l’on tombe : existence d’une coordination, situation où chacun fait dans son coin, ou encore cas où personne ne fait rien, c’est selon. Pour provoquer une « pluie de contentieux », il faut plus que le travail de synthèse et de diffusion interne effectué par le DLAJ : il faut des relais dans toutes les structures, de la coordination et de l’impulsion à tous les niveaux.
C’est là que se fait sentir le besoin de réintégrer pleinement le juridique au cœur de l’action syndicale, sous peine de manquer des occasions d’avancées pour les salarié·es et de renforcement du syndicalisme. Sur ce genre de sujet, nous avons besoin d’une coordination à tous les niveaux, entre les mandaté·es aux différents échelons pro et interpro et l’échelon confédéral. On pourrait imaginer que lorsque ce genre d’ouverture se présente, des camarades pas uniquement en charge des aspects techniques se chargent de faire « redescendre » les moyens d’action dans les différentes UD, puis fassent un travail de suivi pour mutualiser les manières de faire qui fonctionnent et épauler les endroits plus en difficulté. Le tout pouvant être accompagné d’un tract grand public expliquant simplement les nouveaux droits obtenus par l’action syndicale, à diffuser dans les boîtes où nous sommes implanté·es mais également en dehors, comme point d’accroche vers le syndicalisme pour des salarié·es qui en étaient jusque-là éloigné·es.
On peut même imaginer un ciblage sur certains secteurs, accompagné d’un argumentaire revendicatif : le nettoyage ou l’aide à domicile, par exemple, sont fortement touchés par des arrêts maladie longs, alors que les salarié·es y ont déjà des salaires très bas. On a là de quoi mettre en avant la question des conditions de travail et de porter une première attaque aux employeurs dans un secteur où la pression patronale est forte, faisant de l’action juridique la porte d’entrée quasi-nécessaire d’une action syndicale.
Alors oui, ce n’est pas la révolution, mais c’est en étant capables de donner une portée plus large à ce genre d’avancées spécifiques qu’on pourra enfin renforcer nos capacités d’action syndicales, dans l’ensemble du salariat.
N'hésitez pas à nous communiquer ce qui se fait sur le sujet dans
votre organisation, ou à nous écrire pour discuter de comment
mettre en œuvre à l'échelle d'une UD ou d'une UL les propositions
formulées dans cet article !
[1] Pour un historique, lire Michel Miné, « Le droit aux congés payés enfin rénové », Revue de droit du travail, 2023.
[3] Article 7 – congés annuels de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
[5] « La CPME lance une pétition : « Non aux congés payés acquis pendant les arrêts-maladies" », communiqué de presse, 30 octobre 2023, en ligne..
