Amazon : une brèche dans le colosse
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pour ELACette brochure raconte la lutte sans précédent menée au sein de l’entreprise SDR, sous-traitante d’Amazon au Pays basque Sud. La multinationale s’appuie sur un réseau de sous-traitants et de faux travailleurs indépendants pour contourner le droit du travail et s’affranchir des règles en vigueur. Jusqu’au jour où un salarié d’une petite entreprise sous-traitante franchit les portes du syndicat ELA, bien décidé à ne plus se laisser faire. Avec ses collègues, ils et elles vont s’organiser, remporter une première victoire puis devoir faire face à la vengeance du géant américain. Les salarié·es et leur syndicat ont collecté et exposé les preuves du réseau de sous-traitance mis en place par Amazon et ont remporté une nouvelle victoire, en justice cette fois. Les avancées obtenues ouvrent de nouvelles perspectives à la lutte contre Amazon, et plus généralement les multinationales et le travail de plate-forme.
La brochure est à télécharger ici (pour obtenir des exemplaires papier, contactez-nous). Voici quelques remarques sur ce que cet exemple nous dit des possibilités de victoire sur des géants comme Amazon.
1) L’organisation de ELA est ce qui permet de faire des syndiqué·es dans l’entreprise : chaque comarca (structure interpro territoriale) compte des représentant·es permanent·es, capables d’accueillir les salarié·es qui viennent se renseigner sur leurs droits (ils et elles peuvent passer aussi dans les unions locales qui composent aussi chaque comarca) pour ensuite essayer d’implanter le syndicat dans l’entreprise. Ce fonctionnement n’est possible que parce que ELA n’a que trois fédérations (services public, services privés, industrie-construction), de fortes cotisations permettant de salarier un réseau de permanent·es, et a choisi de mettre l’accent sur les structures territoriales : toutes les fédés sont représentées dans toutes les structures interpro, et les salarié·es, quel que soit leur secteur, sont certain·es de tomber sur un·e permanent·e qui sera capable de répondre à leurs questions et de leur donner une place dans le syndicat.
La réduction du nombre de fédérations, le rôle central joué par l’union interprofessionnelle qu’est la comarca avec les moyens nécessaires pour exister efficacement, sont le résultat d’un choix stratégique de ELA fait il y a plus de 20 ans désormais. Ce choix a été guidé par l’analyse de l’évolution de la structure du salariat avec le tournant néo-libéral du capitalisme : accentuation de la précarité sous toutes ses formes. ELA a donc fait évoluer ses structures, et les moyens dédiés, pour que le syndicat soit plus efficace pour contrer cet éclatement de la classe. Le choix s’est donc porté vers l’organisation du prolétariat précaire, notamment les secteurs féminisés et les personnes immigrées – sans que les actions, la syndicalisation et les grèves dans les secteurs « classiques » du syndicalisme (industrie, public) en pâtissent. Comme on le voit avec ces résultats à Amazon, fer de lance de ces transformation des règles d’emploi, les choix audacieux du syndicat se sont révélés payants.
2) On voit aussi que même avec ce fonctionnement, il n’est pas toujours possible d’implanter le syndicat : depuis des années, plusieurs salarié·es d’Amazon ou de ses sous-traitants étaient déjà venu·es voir ELA avec des questions de droits du travail, mais les choses n’étaient pas allées plus loin. Par contre, le jour où un·e salarié·e un peu plus motivé·e se présente, il faut une structure capable de répondre à ses questions, de lui donner confiance, et de l’accompagner dans l’organisation de ses collègues.
3) Sur le plan revendicatif aussi, cette lutte est originale et le représentant de la fédération a su choisir les bonnes orientations, qui représentent de vraies améliorations, parlent aux salarié·es et sont gagnables. Le choix de se battre pour l’application d’une convention collective (ici territoriale) de meilleure qualité, qui « colle » en termes de champ d’application, est une piste que nous pourrions expérimenter dans beaucoup de luttes.
4) Le syndicat a su frapper l’entreprise au bon endroit : les victoires obtenues mettent en cause le cœur du système Amazon, fondé sur une sous-traitance en cascade qui exonère la multinationale des contraintes légales. En empêchant Amazon de couler un sous-traitant, puis en obtenant le transfert du personnel en cas de fermeture d’un sous-traitant, ELA est venue replacer la multinationale dans son rôle d’employeur réel : Amazon ne pourra plus, au Pays basque, prendre les profits en se déchargeant de la gestion de la main-d’œuvre sur des entreprises fantômes.
5) Qu’est-ce qui a permis ces victoires ? D’abord, un service juridique solidement structuré, qui compte plus de 100 juristes et avocat·es salarié·es, compétent·es et expérimenté·es, capables de réagir rapidement et de gagner des procès complexes, avec en particulier une équipe spécialisée sur les questions d’appels d’offre et de plans sociaux, qui a accumulé beaucoup de savoirs-faire en matière de licenciements collectifs. Ensuite, grâce à la force de frappe de ELA, syndicat doté d’une caisse de grève permanente, qui sait organiser et remporter des grèves dures et longues : la réputation du syndicat n’est plus à faire au Pays basque, et ça suffit parfois à arracher des accords avantageux, y compris à de grosses entreprises comme Amazon, qui savent qu’elles n’ont pas affaire à une combativité « de façade » mais bien à une organisation capable de mettre effectivement les salarié·es en grève.
C’est une démonstration que, malgré toutes les difficultés, l’organisation, la syndicalisation et la lutte dans les secteurs précaires de notre classe sont possibles de manière pérenne.
Brochure à retrouver également sur le site de la Manu Robles-Arangiz Fundazioa, qui a publié la version originale traduite par nos soins.