Évolution des structures de la CGT : le rapport de la commission ad hoc
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Derrière ce nom obscur de « commission ad hoc » se cache une description approfondie de l’état des structures de la CGT. Ce rapport, commandé par Bernard Thibaud à plusieurs militant·es et chercheurs et publié en janvier 2009, avait pour but de préparer le 49e congrès confédéral de la CGT. Il montre l’existence de freins à la syndicalisation de masse dans la manière même dont la CGT est organisée, et formule plusieurs pistes d’évolution pour qu’elle retrouve des capacités d’action à la hauteur de ses revendications.
Ces « Réflexions et pistes de travail sur les structures de la CGT » n’ont malheureusement pas pris une ride, car quasiment aucune des préconisations n’a été mise en œuvre, et les problèmes identifiés n’ont fait que s’approfondir. Leur lecture s’impose à tou·te militant·e soucieux·e de renforcer la CGT.
On y retrouve plusieurs lignes de force, nourries par une expérience du syndicalisme et une grande connaissance du fonctionnement de la CGT :
- Lucidité : pour avancer, nous devons examiner notre organisation telle qu’elle est réellement, et non telle qu’on voudrait qu’elle soit ou telle qu’on la décrit dans nos textes.
- Rupture avec le fétichisme des structures : notre organisation actuelle n’est pas gravée dans le marbre, la force de la CGT est d’avoir su s’adapter pour répondre aux transformations du capitalisme – vouloir la figer c’est s’empêcher de pouvoir mettre en œuvre nos revendications.
- Une structure pour chaque salarié·es : trop de salarié·es sont laissé·es en dehors de la CGT faute de syndicat pour les accueillir. Il faut y remédier en permettant la participation de tou·tes, à l’échelle de chaque territoire.
- Confédéralisation : la CGT est un tout, et pas une addition de parties séparées. Cela implique de sortir de l’esprit de boutique, qui place les fédérations en compétition entre elles ou fait penser qu’elles sont « propriétaires » de leurs adhérent·es. Chaque structure doit être vue comme un élément de mutualisation et de décloisonnement de l’action syndicale.
- Solution collective : la réflexion sur les structures doit être appropriée largement dans les syndicats, et ne pas se cantonner au sommet – elle sera sinon inefficace et inappropriée.
L’avenir de la CGT dépendra de la capacité des militant·es à se saisir de ces principes et à les mettre au travail pour reconstruire une organisation efficace et capable de gagner.
La Commission ad hoc, a à la demande du Secrétaire général, mis à la disposition de la CGT un premier document « état des lieux » de l’organisation au printemps de 2008, qui a servi de base à la discussion du CCN des 27 et 28 mai 2008. Tirant le bilan de ce premier échange, la commission exécutive du 2 juillet a décidé de solliciter à nouveau la Commission ad hoc pour qu’elle apporte son concours à la poursuite de la réflexion dans la perspective du 49e congrès, en particulier sur les pistes d’évolution des structures de la CGT. Le présent document répond à cette commande. Il se situe donc en amont des décisions. Il tente de fournir une mise en perspective et des propositions susceptibles d’éclairer les décisions à prendre par les organisations
Les mois et sans doute les années qui viennent vont être dominés par la crise et ses effets sur les conditions de vie et de travail des salariés. Ce contexte renforce la légitimité de notre syndicalisme : rassembler et mobiliser pour créer des rapports de forces et négocier sur nos revendications, salaires-pouvoir d’achat, sécurité sociale professionnelle et nouveau statut du travail salarié. Le résultat des élections prud’homales n’offre pas que des motifs à se réjouir. Mais il montre que la CGT conserve un capital de confiance qui lui donne des responsabilités supplémentaires.
Dans le champ des relations sociales, l’avenir va également être déterminé par le nouveau dispositif de reconnaissance de la représentativité et les règles de validation des accords. La position commune, traduite dans la loi du 20 août 2008, répond en partie à nos préoccupations en matière d’appréciation de la représentativité. Elle vaut mieux que le statu quo et c’est pourquoi la CGT l’a signée mais elle ne règle pas pour autant un certain nombre de problèmes, posés à la CGT comme à d’autres.
C’est dans ce contexte difficile et mouvant que nous devons penser l’avenir de la CGT et les efforts à réaliser sur nous-mêmes pour mieux répondre aux attentes. L’état des lieux mis en discussion dans l’organisation lors du CCN de mai 2008 a montré le décalage important et qui va croissant entre notre structuration et les dynamiques d’évolution du salariat. Notre nombre d’adhérents stagne, notre présence nous met au contact de 4,2 millions de salariés, soit un peu plus du quart des salariés recensés dans le champ de l’Unedic. Nous sommes davantage présents là où les effectifs décroissent et faibles là où l’activité se développent, et ce constat s’étend à la fonction publique. Il nous devient de plus en plus difficile, sauf à se payer de mots, de prétendre représenter l’ensemble des salariés.
Nos revendications répondent potentiellement à la situation mais nous ne disposons pas des modes d’organisation qui permettent de les rendre opératoires. Nous constatons au fil de nos congrès les freins opposés à une syndicalisation de masse dans nos rangs. Si de nombreuses causes sont à rechercher à l’extérieur du syndicalisme, il faut bien admettre que des freins existent aussi en notre sein, en particulier dans nos modes d’organisation qui génèrent des handicaps considérables.
Toute notre réflexion collective, toutes nos décisions, doivent être dictées par cet impératif porté à l’article 1 de nos statuts : « La Confédération Générale du Travail est ouverte à tous les salariés, femmes et hommes actifs, privés d’emploi et retraités, quel que soit leur statut social et professionnel, leur nationalité, leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses ».
Sommes-nous aujourd’hui en situation de répondre à cette déclaration de principe fondatrice de notre organisation ?
Comment avancer ?
Depuis le CCN de mai 2008, le débat s’est peu à peu instauré dans les organisations sur la nécessité de faire la clarté sur notre situation. Mais surtout il importe de commencer à travailler les solutions. Il ne faudrait pas que les tensions sociales aggravées par la crise conduisent au repli sur l’existant et remettent à plus tard des changements qui s’imposent. Depuis plusieurs mois, nombre de fédérations ou d’UD se sont saisies de ce débat et elles ont établi, pour elles-mêmes, un état des lieux plus précis de leur propre situation. Peu de congrès fédéraux ont pu s’abstraire de ces questions qui sont aujourd’hui dans l’espace public CGT.
Afin de poursuivre cette réflexion, la commission ad hoc a choisi de rencontrer un certain nombre de responsables d’organisation, de manière informelle, afin de mesurer l’avancée des discussions, la façon dont les questions sont posées et les réponses qui commencent à être évoquées. Ces rencontres ont permis de formuler deux constats :
- les militants de l’interprofessionnel, du moins ceux que nous avons rencontrés, n’ont pas semblé surpris par l’état des lieux mais plutôt par l’absence de propositions de la commission pour remédier à la situation.
- les responsables de fédérations ont fait état de débats et d’un état d’esprit nouveaux dans leurs organisations sur des questions concernant notamment : les frontières des champs fédéraux, l’importance de la question des territoires, les organisations spécifiques en particulier les syndicats ou structures ICT, l’adéquation entre leurs traditions d’organisation et la nouvelle répartition des salariés dans les espaces de travail.
Ces entretiens ne traduisent pas l’état l’esprit général au sein de la CGT mais ils ont montré à la fois l’urgence d’une mise en mouvement et le potentiel de propositions qui peut émaner des organisations elles-mêmes. Il faut donc continuer à solliciter ces apports et impliquer militants et syndiqués dans cette réflexion. Le réflexe consistant à attendre ce qui viendra du haut, que ce soit pour s’y conformer ou pour s’y opposer, doit être dépassé. Tout le monde doit s’impliquer d’autant qu’un des premiers enseignements tirés est qu’il n’y a pas « une » formule magique présidant à la réorganisation de nos structures mais « des » manières de faire partant des diverses réalités auxquelles nous sommes confrontés. L’autre raison majeure pour l’implication collective vient de nos propres statuts : ceux-ci indiquent (article 7) : « Les syndicats définissent eux-mêmes leur mode de constitution et de fonctionnement », l’article 8 poursuit : « Les syndicats constituent les fédérations, les unions départementales et les unions locales ». La confédération n’a ni le désir ni le pouvoir statutaire de décider au nom de tous. Seul le congrès confédéral peut prendre les décisions à l’issue du débat et de la confrontation. Le 49e congrès de décembre 2009 devra marquer une étape qui sera le fruit de la réflexion des syndiqués et des militants de toutes les organisations de la CGT. Nous ne pouvons nous permettre de rééditer le report des décisions de congrès en congrès car il y a des moments où l’histoire s’accélère et où il n’est plus question de différer.
Le congrès devrait donc décider d’une méthode de suivi et de vérification de l’avancée des décisions prises, afin de rappeler en permanence à tous les échelons de l’organisation leurs responsabilités face aux engagements pris. La mise en œuvre de la réforme des cotisations a montré l’efficacité d’un suivi de l’exécution des décisions au-delà du congrès.
Partir du contexte
Depuis notre 48e congrès, le contexte s’est durci avec le déclenchement d’une crise qui se diffuse à très grande vitesse de la sphère financière où elle s’est déclenchée à l’économie réelle déjà ralentie. Ce contexte est durable, nous l’avons dit, il s’accompagne d’une évolution autoritaire du pouvoir politique et des employeurs. La position commune négociée en avril 2008 pour modifier les règles de représentativité syndicale était un compromis suffisant pour justifier notre signature. Mais les intentions du patronat et du gouvernement n’ont pas tardé à se révéler lorsque ce dernier a introduit dans la loi un élargissement des procédures de gré à gré destinées à contourner les règles collectives. Ils ont une conception du syndicalisme qui d’abord vise à contourner le syndicalisme d’action et de négociation et, là où on ne peut pas le contourner, ils cherchent à l’enfermer dans l’entreprise où il est aisé pour l’employeur de passer des compromis corporatistes. Or nous ne sommes pas aujourd’hui assez forts pour contenir cette offensive même si la CGT montre encore qu’elle est à la fois la plus puissante au sein du mouvement syndical et qu’elle recèle le plus fort potentiel parmi les salariés. Pour reprendre une image guerrière, disons que patronat et gouvernement ont entamé une guerre de mouvement là où nous sommes encore installés dans une guerre de position. Adossés aux institutions représentatives du personnel, nous continuons à caler nos pratiques, à organiser nos structures pour l’essentiel autour des pôles les plus institutionnalisés de notre syndicalisme. Les acquis institutionnels sont des ressources qu’il ne faut surtout pas négliger et encore moins abandonner aux autres. Mais s’y laisser enfermer est aujourd’hui un danger alors qu’une large majorité du salariat se retrouve en dehors, voir parfois très éloignée, des formes protectrices propres aux grandes entreprises ou aux secteurs à statuts.
L’autre contexte à prendre en compte, c’est celui de notre propre organisation. Les débats existant dans nombre de fédérations montrent que nos champs fédéraux datent d’un temps révolu et d’une organisation industrielle bouleversée. Il y a une nécessité de clarifier les missions respectives des UD et des régions afin d’éviter les tensions inutiles qui surviennent parfois. Notre tissu d’unions locales est trop figé : certaines UL ne survivent que par l’habitude, d’autres manquent là où l’activité s’est étendue ; un grand nombre d’entre elles ne sont pas vraiment des UL de syndicats. Il y a celles qui tentent de tenir à bout de bras des syndiqués isolés dans un désert syndical, d’autres qui ne voient que quelques syndicats de leur territoire présumé.
Le problème n’est pas chez les militants ou les responsables. Au contraire, c’est sur leur engagement et leur action que repose encore le « plus » CGT que les salariés lui reconnaissent. On peut penser également que la remontée constatée aux élections prud’homales est un signe qui ne doit pas nous étourdir mais qui donne confiance dans nos potentialités. Toutefois, celles-ci ne pourront se réaliser que si nous faisons un effort pour mettre à jour l’outil CGT. Celui-ci stérilise aujourd’hui une partie des efforts militants. Nous passons beaucoup trop de temps et de moyens à observer des rituels d’organisation qui ne sont jamais interrogés : considérons le nombre de réunions, de secrétariat, de bureau, de conseil, le nombre élevé de congrès à tous les niveaux. Ces congrès votent des résolutions parce que c’est le rôle des congrès, quelle que soit l’applicabilité réelle des décisions adoptées.
Si tout cela était signe d’une intense activité revendicative et d’une démocratie interne vivante, il n’y aurait pas que des inconvénients à consentir temps et argent à ces multiples rencontres. Mais si on compare la somme d’efforts dispensés à la vie routinière de nos organisations avec celle consacrée à la conquête de nouvelles bases ou à la mise en place d’outils nouveaux et utiles aux salariés, on en vient vite au constat d’une bureaucratisation souvent inconsciente mais profonde de notre fonctionnement.
Nous vivons sur une représentation de celui-ci qui n’a qu’un rapport lointain avec la réalité. Nos statuts prétendent que nos fédérations, nos UD, nos UL sont des unions de syndicats et tout le monde sait que la vie démocratique de la CGT n’est pas celle-là. Ces définitions, brandies pour justifier nos habitudes, satisfont davantage à des nécessités statutaires qu’elles ne décrivent la vie réelle de la CGT. Il est temps de rompre avec ces mythes et de faire le point lucidement sur l’écart entre nos ambitions et l’état de notre organisation.
Plusieurs responsables de l’interprofessionnel nous ont dit avoir obtenu des résultats dans la mise en œuvre de nouveaux moyens d’intervention adaptés aux transformations de l’activité locale. Mais ils y sont parvenus au prix d’efforts considérables, d’obstacles internes plus difficiles à franchir que l’approche de nouveaux salariés. Il nous faut rompre avec ce fétichisme des structures, privilégier l’efficacité et le mouvement. Certains camarades craignent que toucher à nos modes d’organisation vise à changer les orientations de la CGT. C’est oublier que figer la CGT dans des structures inefficaces est la façon la plus sûre de ne pas pouvoir mettre en œuvre ses orientations fondamentales. Au contraire, c’est pour mieux répondre à nos objectifs que la CGT doit bouger, c’est même la seule façon pour y parvenir.
La méthode
Nous devons d’abord comprendre comment nos structures se sont mises en place et se sont imposées dans la CGT. On ne peut raisonner sur le présent et l’avenir sans un minimum de mises en perspective. Le débat sur nos modes d’organisation n’est pas nouveau dans la CGT. Il faut conserver à l’esprit les raisons des réussites passées, mais aussi des échecs pour éviter de les reproduire.
Il convient également de discerner les principaux axes à partir desquels impulser le mouvement. Il faut enfin penser une démarche qui implique largement car rien ne serait pire qu’une « solution technocratique » qui paraîtrait émaner d’un centre cherchant à passer en force dans tel ou tel congrès avec des idées préconçues. Il y a des moyens pour éviter cela.
En revanche, une démarche pour renforcer toute la confédération est incompatible avec une lecture du fédéralisme revenant à considérer, quelques articles statutaires à l’appui, que chacun est libre de s’organiser chez soi, dans sa structure, sans considération de l’ensemble. On constate trop souvent des conflits au sein même de la CGT, des disputes de territoires ou d’adhérents entre structures, là où l’urgence est plutôt d’aller à la recherche de nouveaux territoires ou de nouveaux adhérents à l’extérieur. Il est essentiel de se défaire des réflexes patrimoniaux consistant à défendre « ses adhérents » comme si on en était propriétaire alors que ceux-ci sont d’abord des adhérents de la CGT.
Si le fonctionnement de la CGT devait rester le théâtre de ces disputes ou de ces replis, alors, autant le dire tout de suite, il n’y a pas de solution. Notre syndicalisme se réduirait à une cohabitation de corporatismes, qu’ils soient d’entreprises ou de statuts, sous le même intitulé CGT, mais sans autre relation que le partage du sigle, au mieux d’une histoire et parfois seulement d’un vocabulaire. Une telle CGT peut continuer à exister, mais dans un nombre de plus en plus réduit de lieux repliés sur eux-mêmes, à l’écart du mouvement de la société et du salariat réellement existant. Il s’agirait d’une renonciation aux objectifs de transformation qui inspirent notre syndicalisme. La fragmentation en chapelles autonomes n’est ni plus ni moins que le certificat de décès du syndicalisme confédéré. Si notre ambition est autre, alors chacun doit s’impliquer dans une démarche collective et dépasser les réflexes patrimoniaux qui sont à l’opposé de l’ambition interprofessionnelle.
Encore une fois, vouloir un autre fonctionnement n’est pas imposer le centralisme, au contraire. Le débat le plus large implique tout le monde dans une décision collective. Il n’écarte pas les contradictions, tous les arguments doivent être confrontés.
Le 49e congrès doit connaître une préparation et un déroulement sans précédent. Il doit conduire à des décisions et au choix d’une démarche qui permettra d’en suivre la mise en œuvre. Le congrès devra arrêter une méthode, déterminer des étapes et des moyens de vérification afin que les décisions qu’il aura prises après un large débat et qui engagent toute la CGT soit mises en œuvre dans toute la CGT et par toute la CGT.
Quels sont les axes de transformations envisageables de la CGT ?
Il semble logique de commencer l’examen par le syndicat. Le syndicat est la structure de base de la CGT, il est au point de contact entre la CGT et les salariés, c’est donc notre point d’appui fondamental.
Le syndicat
La réalité de nos syndicats est si diverse que l’on désigne sous le même nom des situations totalement différentes : des syndicats nationaux, grands ou petits, aux syndicats de quelques adhérents dispersés en passant par le syndicat d’entreprise, il y a un monde et toutes les gradations possibles en taille, degrés de concentration et mode de fonctionnement. Lors du 48e congrès, le débat s’était ouvert sur la question de la taille des syndicats : faut-il un minimum d’adhérents pour assurer la viabilité d’un syndicat ? La question n’était pas sans objet mais le congrès a indiqué que ce n’était pas la bonne façon de poser le problème. Il faut donc l’élargir et revenir aux fondamentaux.
Le syndicat combine les dimensions du local et du professionnel. Attaché à un territoire, il regroupe les syndiqués partageant une même identité professionnelle. Deux questions se posent aussitôt : quelle est la bonne échelle du local, quelles sont aujourd’hui les identités professionnelles pertinentes pour rassembler ?
Le territoire n’est pas qu’une échelle géographique, il est institué par le politique et par l’économique. Il est en rapport avec des réalités administratives (communes, départements, régions) mais aussi économiques (bassins d’activité, zones commerciales, sous-traitance de proximité, etc.). Quel est aujourd’hui le territoire pertinent de la constitution du syndicat ? L’entreprise, la localité, la ville, le département, le bassin d’emploi, la filière professionnelle ?
Les identités professionnelles méritent également d’être interrogées : à sa naissance au XIXe siècle, le syndicalisme s’est d’abord adossé aux identités de métiers ; sans y renoncer complètement, il s’est étendu au début du XXe à la notion d’industrie (métal, bâtiment, chimie, etc.) ; dans une période plus récente, le syndicat d’industrie est devenu syndicat d’entreprise. Il faut aujourd’hui réinterroger tous ces nivaux. Comment articuler dans une structure de syndicat les diversités professionnelles, de métiers, de place dans la hiérarchie ? La branche professionnelle est-elle en toutes circonstances une partition logique entre salariés ? L’entreprise est-elle aujourd’hui le lieu pertinent de constitution des identités professionnelles ?
Les branches professionnelles l’ont été structurellement par l’essor des conventions collectives, qui sont devenues des références dans la cristallisation des identités : la conscience de métallo, de chimiste, etc.). Les statuts propres à certaines entreprises ou services publics ont également constitués des identités professionnelles : cheminots, énergéticiens, postiers, etc. Il faut également prendre en compte les luttes collectives qui ont consolidé ces signes de reconnaissance : les mineurs jadis, les sidérurgistes, l’automobile, la navale, etc.
À sa manière, le statut de la fonction publique a dessiné des caractères communs aux identités professionnelles du monde des fonctionnaires. Au cœur de l’État, les organisations administratives y ont plus sûrement contribué : les départements ministériels voire les grandes directions d’administration aux identités très marquées comme la direction générale des Impôts ou la Douane, ont produit des structures syndicales imprégnées de verticalité administrative. Dans les fonctions publiques territoriale ou hospitalière, la construction des identités relèvent d’autres registres et d’autres combinaisons. Le Service Public et le rapport aux élus sont les références principales pour la première, les métiers et la déontologie du monde médical le sont pour la seconde.
La définition de base du syndicat pose très vite, on le voit, des questions fondamentales. Dans la plupart des activités, les identités professionnelles ont été bousculées, transformées par le progrès technique, les technologies, les modes d’organisation économiques dans l’industrie et aussi dans les services. Peut-on faire l’économie d’un réexamen de ce sur quoi notre activité syndicale est construite ?
Quand on tire le fil du syndicat, c’est toute la pelote des assises syndicales qui vient avec. Il faut donc s’arrêter et convenir de ce que l’on doit apprécier et réévaluer pour définir notre assise professionnelle, de ce qui doit être pris en compte lorsqu’on parle du « local » ou du « territoire ».
Pour une réévaluation du professionnel
Il faut d’abord revenir sur la distinction entre syndicat professionnel et syndicat d’entreprise. Jusque dans la décennie soixante, beaucoup de syndicats professionnels étaient des syndicats locaux. Ils regroupaient les salariés de la grande entreprise locale et des PME qui l’environnaient, sous-traitantes ou simplement géographiquement proches.
Le choix de centrage sur l’entreprise a plusieurs causes. D’abord, après mai 68, la loi instaurant le droit syndical dans l’entreprise a reconnu formellement l’existence de la section syndicale d’entreprise. Celle-ci n’interdisait pas les syndicats locaux mais incitait à organiser l’activité du syndicat sur la base de l’entreprise. Le patronat, en refusant les droits concrets d’activité, de représentation et de négociation à la section syndicale, pour les donner au seul délégué syndical, cherchait par là à privilégier un interlocuteur qui, au nom des contraintes de l’entreprise, pourrait « comprendre » ses préoccupations. La forte institutionnalisation du syndicat dans l’entreprise, renforcée au fil des années 1980 par la négociation annuelle obligatoire, a contribué à l’internalisation dans l’entreprise des rapports de force et à un certain délaissement de fait des PME. Dans les industries « traditionnelles », la convention collective a souvent perdu de sa fonction motrice du progrès social. Cet amoindrissement du rôle référentiel de la convention collective a privé l’action syndicale d’une fonction de solidarité assurée auparavant par une certaine identité de branche.
Mais il y avait une autre cause, liée au contexte politique : la concentration de l’activité des fédérations sur les grandes entreprises et les groupes a été voulue à une époque où la CGT dénonçait le capitalisme monopoliste d’État. Dans les années 1970, l’entreprise devenait le lieu de cristallisation de l’opposition entre le grand capital monopoliste et la stratégie unitaire du programme commun. Ce choix n’a pas eu que des inconvénients : plusieurs fédérations s’en sont saisies pour acquérir à l’époque des compétences industrielles dans la perspective des nationalisations et pour avancer des propositions en cas de conflit. Mais cette concentration de l’activité s’est probablement faite au détriment de la syndicalisation dans les PME.
Il y a donc eu glissement de la notion de syndicalisme d’industrie à celle de syndicat d’entreprise. Le problème aujourd’hui n’est pas de revenir en arrière mais d’avancer en tenant compte, comme à l’époque, de notre stratégie, mais aussi des réalités socio-économiques du moment.
Engagé dans les processus de mondialisation et de financiarisation, le patronat a fait voler en éclat la notion même d’entreprise, attaquée de l’intérieur comme de l’extérieur : à l’intérieur, un grand nombre de grandes entreprises ont été découpées en centres de profits autonomes, transformant les relations entre services ou ateliers en contrats de service prônant la concurrence entre salariés au détriment de la coopération ; cette logique a le plus souvent permis d’installer au cœur de l’entreprise des intervenants extérieurs, multipliant les statuts et les concurrences entre salariés. Mais beaucoup d’entreprises ont aussi éclaté vers l’extérieur, en diluant le travailleur collectif au long d’une chaîne de sous-traitance constituée de PME malléables à loisir. Ces PME sont parfois des entreprises isolées crées par d’anciens cadres de l’entreprise mère et vivant dans une étroite dépendance à l’égard de celle-ci. Souvent aussi, ces PME appartiennent à des groupes, filiales de groupes plus grands : Suez, Eiffage, Vinci, sont de grands spécialistes de ces activités de service rendus aux entreprises. Ils excellent dans l’art de couper et redécouper des entreprises au fil des contrats de sous-traitance qu’ils négocient avec les grands donneurs d’ordre. C’est ainsi que des salariés peuvent aujourd’hui conserver leur emploi, leur poste et leur lieu de travail tout en changeant d’employeur et de garanties sociales.
Ce mode d’organisation qui a souvent contribué à externaliser de l’entreprise mère une grande part du travail ouvrier, s’est étendu de l’industrie aux services. Nombre d’activités comme le nettoyage, la logistique, la maintenance, l’exploitation informatique, l’établissement de la paye, la formation, les relations humaines en général, ont été externalisées, découpant l’entreprise en autant de fonctions plus ou moins autonomes. Les centres d’appel dans les communications ou le commerce, voire dans la fonction publique, en sont un exemple parmi d’autres.
Les notions de sous-traitants, de co-traitants, etc. se sont banalisées au point de dessiner un nouveau système productif dans lequel la notion « d’exercice commun de la tâche », fondement des solidarités ouvrières dans le syndicalisme d’industrie, est devenue une réalité floue parce que constituée à une échelle beaucoup plus vaste que celle de l’entreprise.
Cette évolution a eu deux conséquences sur notre mode d’organisation. Elle a déstabilisé les groupes sur lesquels s’appuyaient nos syndicats : d’abord, les ouvriers qualifiés ont changé d’attribution et dû recomposer des identités professionnelles différentes quand ils n’ont pas tout simplement subi une déqualification. Ensuite, elle a projeté à l’extérieur de l’entreprise un très grand nombre de salariés qui jusque-là étaient impliqués dans l’action syndicale, soit directement par l’engagement, soit, pour les jeunes par exemple, par imprégnation progressive d’une culture de défense collective qui les rendait disponibles et permettait à notre syndicalisme de se reproduire à travers les générations.
Si nous avons du mal à impliquer les jeunes dans l’action syndicale, c’est aussi et peut – être d’abord parce qu’ils ne sont plus là où sont nos syndicats. La sous-traitance, modèle de précarisation, avec ses bas salaires, ses temps partiels, son intérim et sa domination sans partage des employeurs, n’a plus rien de marginal ou de provisoire. C’est un mode de gestion central du redéploiement du capitalisme et la crise actuelle ne peut que le voir s’étendre encore. Bien des entreprises ont pu aujourd’hui licencier et ajuster instantanément leurs effectifs à la conjoncture. Si celle-ci s’améliore, ce sera à nouveau l’occasion d’une substitution des CDI par de la sous-traitance voire de l’emploi délocalisé qui en est une variante.
Ce constat, nous le faisons tous les jours, dans nos UD, dans les fédérations de l’industrie. Les camarades de la Santé nous disent que l’hôpital public devient le cœur d’une activité où les tâches périphériques à l’acte soignant sont de plus en plus confiées à des intervenants extérieurs. Elle est déjà et elle tend à devenir de plus en plus une réalité transversale du monde du travail. Comment prenons-nous en charge cette évolution ? Comment penser le syndicat sur un autre mode que centré sur l’entreprise, c’est-à-dire de fait, l’entreprise donneuse d’ordre quand nous avons tant de mal à exister dans les PME ?
Le professionnel a franchi des frontières, l’entreprise en tant qu’entité économique unifié, correspondant à un certain état du travailleur collectif, a cédé la place à l’entreprise cœur de réseau tirant les ficelles d’un maillage très étendu bénéficiant d’une malléabilité à peu près totale de la main d’œuvre. Après l’émergence de la holding financière devenue maître de la stratégie, place à la holding économique qui fait de l’entreprise le point d’assemblage d’une production étirée dans les différents cercles de la sous-traitance : dans le premier cercle, un nombre restreint de co-traitants, dans les cercles suivants, une déclinaison de sous-traitants de rang 2, 3 voir plus, où la précarité et les bas salaires sont le mode de gestion par excellence.
A-t-on pris toute la mesure de telles évolutions ? Que pouvons-nous faire contre cela si nous restons arrimés à notre syndicat d’entreprise au cœur de ce système ? En poussant la logique au bout, il est même possible d’affirmer que les acquis obtenus par la mobilisation et la NAO de l’entreprise centre peuvent se reporter en autant de pressions sur les coûts – c’est-à-dire, pour les employeurs, sur les salariés – de la sous-traitance. Une telle situation va à l’encontre des objectifs solidaires d’un syndicalisme fédéré et confédéré.
Nous ne pouvons pas supporter ou laisser faire un système dans lequel nous participerions nous-mêmes à la mise en concurrence des salariés. Poursuivre comme on le fait aujourd’hui, revient quelque part à accompagner les stratégies patronales. Il en est d’ailleurs de même dans la fonction publique, si le syndicat limite son intervention aux grands noyaux statutaires nationaux alors que l’emploi se développe en dehors de ceux-ci.
En même temps, il n’est pas question d’abandonner au patronat les acquis institutionnels au niveau de l’entreprise. Si le risque d’une institutionnalisation excessive est évident, on ne peut se priver de tels instruments (CE, CCE, CE européens…) et de l’expertise qu’ils réclament. S’il entend construire un système de droits durables et efficaces pour la défense des travailleurs, le syndicalisme doit constamment participer au jeu institutionnel en même temps qu’il joue son rôle de mouvement social. Toute la question est de tenir le bon équilibre entre ces deux pôles, entre tenir le champ de l’entreprise et en même temps savoir en sortir pour embrasser l’ensemble du système productif qu’elle engendre. Et si le vocabulaire utilisé ici évoque l’industrie, il est important de se rappeler que ce mode de fonctionnement est devenu la référence de toute l’activité économique, services compris, voire, ici où là, services publics compris.
La base de l’organisation, le syndicat
Si l’entreprise est devenue une entité fuyante, il faut en tirer quelques conséquences sur nos modes d’accueil et de conquête des salariés. L’organisation des salariés ne peut émaner des seuls syndiqués des entreprises cœur de ce nouveau système sinon nous accepterions une nouvelle forme de délégation dans laquelle d’ailleurs les salariés de la sous-traitance refuseraient d’entrer.
Tenir l’entreprise, sans s’y enfermer, tel doit être l’objectif. L’entreprise devient centre de ressources pour un syndicalisme dont l’ambition est d’embrasser large, à la mesure du travailleur collectif dispersé entre ces multiples entités.
La question des catégories
D’autres mutations ont touché le monde du travail, dans l’industrie comme dans les services. Dans de nombreux sites, les ingénieurs, cadres et techniciens sont devenus aussi nombreux, et souvent davantage, que les ouvriers et employés. Il y a deux causes à cela : la part croissante de ces catégories dans le salariat d’une économie de la connaissance et, jusqu’ici, la moindre externalisation en ce qui les concerne. Ainsi trouve-t-on dans nombre d’entreprises deux syndicats CGT organisant de manière séparée ces catégories de personnel équivalente en nombre si ce n’est avec une majorité d’ICT.
Nous devons également dans ce domaine mettre à jour notre façon de faire et de penser. Pendant longtemps, l’organisation séparée des ICT a visé à donner à ceux-ci une légitimité à figurer dans les objectifs de rassemblement de la CGT autour des intérêts de la classe ouvrière. Très largement implanté parmi celle-ci, la CGT manifestait un intérêt stratégique pour ces groupes mais la légitimité première restait sans contestation possible celle du syndicat ouvrier. Cette séparation n’est plus aussi simple à gérer : face aux politiques d’emploi et de financiarisation des groupes et des entreprises, il faut aller au-delà d’une simple cohabitation des intérêts de catégories et constituer une identité collective des groupes salariés qui ne peuvent s’arrêter ni aux frontières de l’entreprise ni à celle des catégories. Quelle est la voix de la CGT ? Y a-t-il deux paroles dirigées vers des « publics » différents selon une stratégie proche du marketing ?
Si l’existence d’une union générale dont les publications et les études sont orientées vers des spécificités des ICT reste utile et légitime, l’existence de syndicats différenciés par catégories, devient en revanche une interrogation. Dans certaine fédérations, les unions de cadres et de techniciens se vivent parfois davantage comme une partition professionnelle émanant ou constitutive de l’UGICT que comme une structure fédérale articulée à la démarche revendicative de l’ensemble. Là encore, il convient de partir de la base, du syndicat comme interface entre la CGT et les salariés. Il est sans doute plus difficile, mais aussi plus nécessaire, de construire une position CGT unique à travers la confrontation entre l’ensemble des salariés relevant du champ d’un syndicat, plutôt que d’additionner des voix parfois discordantes de structures diverses, recoupant des groupes qu’il s’agit plutôt d’agréger que de disperser.
La question se pose dans d’autres termes pour d’autres catégories comme les privés d’emplois. Les mobilisations conduites par nos comités, avec l’appui des organisations de la CGT, ont permis des avancées revendicatives, preuve d’une certaine efficacité, mais notre capacité d’agir dans ce domaine marque le pas et nous n’avons pas trouvé le moyen pertinent et renouvelé d’insertion des sans emplois dans les structures et dans l’activité de la CGT. Que ce problème soit difficile et qu’il se rencontre dans la plupart des syndicalismes étrangers, même les plus puissants, n’est pas une consolation. L’enjeu est trop important pour que l’on se contente du nombre de sans emplois que nous regroupons aujourd’hui : une organisation, des structures séparées sont-elles les meilleures solutions ? Ne conduisent-elles à exonérer les syndicats d’actifs ou les unions territoriales de la prise en charge des questions relatives aux sans emplois ?
Ne peut-on penser « activités spécifiques » sans aussitôt postuler « structures spécifiques » ?
Par exemple, l’état de sans emploi n’a pas vocation à se cristalliser en identité professionnelle ou même sociale, pas plus que celui de travailleur précaire ou de stagiaire. Créer des syndicats séparés pour couvrir toutes les situations revient à entériner les divisions sociales crées par la gestion patronale de l’emploi. Pour ces catégories, il semble qu’une solution préférable serait de confier l’organisation des sans emplois aux structures territoriales redéfinies, dès lors que chaque structure de la CGT serait justifiée non par la tradition mais par des missions clairement justifiées. Ceci n’empêche pas, car c’est une autre question, que la voix spécifique des sans emplois soit représentée dans les structures confédérées, au niveau central comme aux niveaux décentralisés.
Les nécessaires coordinations revendicatives au sein de groupes spécifiques prennent déjà souvent la forme de « collectifs », comme les sans papiers, parfois les intérimaires, ici les salariés des centres d’appels, là les jeunes, etc. Il nous faut conserver ces formes souples propres à la fonction de coordination. Nous sommes trop souvent pris entre la nécessité de couvrir l’ensemble de l’espace revendicatif et le réflexe consistant à vouloir structurer chaque partie de ce champ en entités séparées au sein de la CGT. Parfois, cela nous conduit à délaisser des domaines entiers comme les étudiants salariés ou les stagiaires que rien pourtant ne devrait tenir à l’écart de nos préoccupations.
Il serait sans doute nécessaire de clarifier et de discerner, en la précisant, la mission de coordination et de mieux définir une fonction de « confédéralisation » qui devrait donner sens à une combinaison plus efficace de nos structures. Une des difficultés provient du fait que tout le monde coordonne au point qu’on ne sait plus très bien à la fois ce que coordonner veut dire et ce qu’il y a à coordonner.
La dimension particulière des retraités est en elle-même un enjeu pour toute la CGT. La CGT en compte environ 120 000 aujourd’hui dans ses rangs ce qui est trop peu. Ils proviennent, dans leur très grande majorité, de secteurs professionnels adossés à des statuts particuliers ou qui l’ont été (FAPT, EDF-GDF, Cheminots…). Le lien professionnel reste pour ceux-là une dimension importante. Pour le grand nombre des retraités que la CGT peut conquérir, il pourrait être plus adapté en revanche de privilégier là aussi le canal territorial dès lors que pour la grande majorité des salariés des entreprises privées, le lien avec celles-ci se dissout dès le départ en retraite (ou en préretraite).
Nombre de retraités changent d’ailleurs de localisation résidentielle et il est paraît préférable de rechercher leur syndicalisation au lieu de résidence où ils peuvent plus facilement participer à la vie locale de la CGT et s’engager dans des mobilisations collectives sur leurs revendications qui sont essentiellement interprofessionnelles. C’est un enjeu stratégique pour la CGT car les retraités sont un groupe numériquement en croissance et qui représente une force sociale potentielle d’autant plus grande que les problèmes que vont connaître les pensionnés dans les années à venir supposeront pour être affrontés une capacité de mobilisation que seul le syndicalisme peut orienter dans des voies solidaires avec les actifs.
Les territoires pertinents
La référence au territoire n’est pas LA solution de substitution. Il faut certainement se libérer de l’idée qu’il n’y a qu’un mode de structuration légitime. Aujourd’hui, LE syndicat d’entreprise est la référence canonique. Nous suggérons qu’elle n’est qu’une forme parmi d’autres et que nous devons diversifier les « formes syndicats » selon les situations et les combinaisons nécessaires. Dans le commerce, se développent de nombreux syndicats de sites ou de centres commerciaux ; ceux-ci ne sont pas une nouveauté dans la CGT mais leur existence semble toujours relever d’une sorte d’exceptionnalité par rapport à la norme. Dans l’industrie, en particulier sur des sites nucléaires ou des sites métallurgiques ou chimiques, existent désormais des syndicats multiprofessionnels ou des Unions de syndicats multiprofessionnelles (qui ne regroupent pas toujours l’ensemble des catégories ou entreprises du site). Là encore, ils font figure d’exceptions, parfois provisoires, avant d’acquérir la taille suffisante pour se séparer en autant de syndicats d’entreprises.
Il faut rompre avec l’idée de la norme. La seule norme acceptable c’est le principe d’efficacité et le souci de rassembler. La norme c’est qu’aucun salarié ne doit rester en dehors de la CGT sous le prétexte qu’il n’existe pas de structure apte à l’accueillir.
Aujourd’hui cette fonction de « voiture balai » est souvent jouée par des UL qui tiennent à bout de bras des « adhérents isolés » non rattachables à une structure de syndicats ; cette catégorie d’ailleurs a pris de l’importance dans certaines fédérations ou UD jusqu’à constituer des proportions significatives d’adhérents. On en arrive même à des situations paradoxales : le cas est fréquent où un salarié isolé dans son entreprise adhère à la CGT pour y trouver un lien, un lien professionnel mais aussi un lien humain pour sortir de son isolement. Et le voilà parqué dans cette catégorie d’isolé dont il comptait précisément sortir en se syndiquant ! Pour l’heure, on ne peut bien souvent que lui faire miroiter l’heureux moment où, aidé de quelques autres salariés de son entreprise, il pourra enfin accéder à la seule dignité qui vaille, celle d’appartenir à un syndicat d’entreprise, par laquelle il témoignera enfin de sa véritable insertion dans la CGT.
Il faut sortir de cette situation : aucun adhérent de la CGT ne devrait être considéré comme un isolé, précisément parce qu’il est un adhérent de la CGT. Tout l’effort d’organisation doit tourner autour de l’impératif de participation de ce salarié à l’activité de son syndicat. La définition du syndicat n’est rien d’autre que ce qui permet à un syndiqué de participer, d’agir dans la CGT et de rayonner sur son lieu de travail.
Dès lors le territoire devient un lieu décisif parce que c’est dans un rapport de proximité que peut se définir la meilleure adéquation structurelle, la définition optimale du syndicat. Plus de norme, mais un choix parmi une palette de possibilités tournées vers l’action et la présence maximale.
- Élaborer avec les salariés les revendications dans toutes leurs dimensions (professionnelle, locale, interprofessionnelle…) ;
- Construire un rapport de forces pour obtenir des avancées, y compris au-delà de l’entreprise ou de l’établissement ;
- Animer les négociations sur l’ensemble des catégories et établissements sur lesquels il rayonne (démocratie, consultation, action…) ;
- Mettre en œuvre la démocratie syndicale sur l’ensemble de son périmètre incluant la mise en place de sections syndicales et la prise en compte de la diversité.
- Construire et faire vivre les orientations de la CGT auprès de l’ensemble des salariés de son territoire.
- Participer dans toute sa mesure et être acteur de la réussite des initiatives et des mobilisations professionnelles et interprofessionnelles.
Cette définition du syndicat semble éloignée des conditions de l’activité syndicale dans la fonction publique, en tous cas dans la fonction publique de l’État où domine la forme « syndicat national ». Pas plus qu’ailleurs, il ne s’agit d’imposer par le haut des réorganisations sur un mode administratif. Il est souhaitable cependant que les militants et les responsables de la CGT dans ce secteur d’activité s’emparent de ces questions, non pas sur un mode abstrait, non pas parce qu’il y a un débat confédéral, mais parce que les évolutions en cours dans la fonction publique de l’État conduisent à se poser ces questions. L’état des lieux a mis à jour les potentiels d’affaiblissement de nos assises dans la fonction publique d’État. La croissance des effectifs se réalise là où nous sommes faibles et dans les agences où dominent les non statutaires ; les « grands » ministères historiques de l’État (et de la CGT) connaissent des réductions tendancielles d’effectifs importantes. Les frontières entre ministères bougent de plus en plus (voire entre le ministère de l’équipement et les finances, le travail, l’industrie, l’environnement, l’agriculture) se fondent et se recomposent, de grandes directions sur lesquelles étaient fondées des identités professionnelles importantes pour nos syndicats nationaux se reconfigurent. Ces réorganisations n’en sont qu’à leurs débuts avec la décentralisation et la régionalisation croissante de l’intervention publique. Faudra-t-il en permanence courir derrière, voir chaque syndicat national accueillir avec effroi tout changement parce qu’il remettrait en cause son périmètre historique ? Ou faut-il aborder lucidement ces questions et penser avec le même soin qu’ailleurs aux enjeux d’une évolution des modes d’organisation de la CGT ?
Champs fédéraux et identités professionnelles
De tels objectifs portent une interrogation sur le rôle des fédérations et, plus exactement, sur la définition du professionnel qui reste, bien entendu, un fondement essentiel de notre syndicalisme.
Les champs fédéraux actuels de la CGT sont d’abord un héritage d’identités professionnelles constituées de différentes manières : les conventions collectives ont cristallisé des champs fédéraux, comme la métallurgie, la chimie, la construction, et d’autres, consolidés souvent par de grandes luttes et par le souvenir de celles-ci. Certaines fédérations correspondent à des champs statutaires comme les cheminots, l’énergie, les PTT avant leur transformation en FAPT, ou comme, bien sûr, les fédérations de fonctionnaires qui correspondent à des partitions de l’État.
Au fond, nous n’avons pas toujours choisi nos structures, pas plus les fédérations d’ailleurs que les UD qui ont été généralisées dans la CGT en se calant au début du XXe siècle sur les déconcentrations de l’État. Comme dans nombre de pays étrangers, des secteurs professionnels nouveaux sont apparus qui sont venus se greffer (s’amalgamer disent les Britanniques) aux structures existantes selon des modalités diverses : telle circonstance historique a crée tel regroupement qui s’est perpétué en raison de ses origines.
La question des champs fédéraux souffre dans notre organisation d’une double difficulté :
- la tendance largement partagée à se sentir propriétaire des adhérents ne facilite pas les évaluations qui pourraient conduire à une meilleure organisation de nos forces ;
- de plus, il n’existe aucune instance dans la CGT propre à proposer ou à arbitrer des questions de frontières professionnelles, comme il en existe, par exemple, dans les syndicats britanniques ou allemands. Seules les situations devenues particulièrement conflictuelles « remontent » à la confédération mais le propre de ces situations est justement de devenir difficile à démêler.
Il nous faut particulièrement réfléchir à la méthode, y associer tous les responsables, c’est-à dire pas seulement ceux des fédérations mais aussi ceux de l’interprofessionnel car la façon dont la CGT organise ses champs professionnels intéresse tout le monde.
Nous devons être guidés par quelques principes :
- Des fédérations nous ont informé de leur désir de toucher au moins marginalement à certaines situations où il semble qu’un large accord existe. Pour le faire dans de bonnes conditions, il faut mettre en place un dispositif associant les organisations qui ait, au nom de toutes, la responsabilité de proposer au CCN ce type d’évolution.
- Un chantier plus vaste doit s’ouvrir pour un réagencement de plus grande envergure. Mais il faut éviter les crispations qui émergent immédiatement de tout projet de fusion ou séparation. Si on part sur l’idée d’un mécano à construire à partir de nos organisations : découpages, fusions, etc., on va à l’échec assuré. Les expériences étrangères sont intéressantes. Elles conduisent à la prudence car les mégafusions du type Verdi en Allemagne ont produit des effets négatifs qui empêchent de les prendre en modèle.
Il faut d’abord une réflexion d’ensemble sur ce qu’on attend aujourd’hui des attributions d’un champ professionnel. Quels sont les besoins ? Quelles sont les segmentations professionnelles pertinentes ? Quelles articulations avec les territoires ? Deux pistes doivent être ouvertes.
La première a trait aux conventions collectives. Celles-ci contribuent à dessiner des champs professionnels et elles constituent souvent un élément pertinent de partition.
Nous devons faire le point sur l’évolution des conventions collectives. Une réflexion a été entamée entre les fédérations et la confédération sur l’évolution du rôle des conventions collectives. Il nous faut absolument avancer sur le sujet car les conventions collectives promues par le mouvement syndical comme une protection des salariés sont souvent devenues des instruments retournés à leur profit par les employeurs soit pour contourner lesdites protections soit pour organiser la gestion de la concurrence dans leur secteur d’activité. La question sera d’ailleurs posée avec l’évolution des règles de représentativité qui font obligation de définir des regroupements de branches pertinents pour l’agrégation des résultats électoraux des scrutins d’entreprise et définir une représentativité de branche.
La seconde piste consiste à réfléchir aux attributions d’un champ fédéral. Elles sont importantes mais doivent être conçues dans une interaction avec la dimension interprofessionnelle. Il faut éviter l’effet « forteresse » où un champ professionnel pourrait avoir l’illusion de fonctionner en vase clos et se nourrir de rapports de force exclusivement construits dans son secteur. La formule invoquée par le Secrétaire général lors du 48e congrès selon laquelle « Pour être fort chez soi, il faut être fort partout » devrait inspirer tous nos efforts de réorganisation. N’oublions pas enfin que si l’appréciation de la nouvelle représentativité s’effectue sur la base du vote dans l’entreprise, la représentativité interprofessionnelle sera établie sur la base des élections dans toutes les entreprises. Il y a donc de fait une interdépendance entre toutes les branches et tous les niveaux où la CGT « construit » de la représentativité.
De nombreux débats soulignent l’importance d’une bonne combinaison, insuffisante aujourd’hui, entre l’action professionnelle et la compétence des différents niveaux territoriaux. Si, comme on l’a dit, l’entreprise ne peut plus constituer l’assise unique de nos syndicats, cela signifie une certaine primauté de la dimension territoriale dans la reconquête du salariat. Une fédération doit donc accepter qu’un syndicat relève pour partie de sa propre activité mais qu’il peut également organiser des salariés qui relèvent d’autres activités prises en charge pour des raisons logiques par d’autres fédérations : le cas de l’intérim vient à l’esprit mais il en va de même pour des activités logistiques aujourd’hui externalisées des entreprises et que les syndicats doivent intégrer dans leur activité même si leurs conventions collectives sont suivies par d’autres champs professionnels (le cas du nettoyage, des fonctions d’étude et de conseil, etc.).
Un syndicat de site peut regrouper des salariés relevant d’une convention métallurgique mais aussi de la chimie, de la construction, des travaux publics, du Syntec, etc. Son caractère de structure de base doit être conforté ; il doit trouver soutien et assistance dans toutes les fédérations dont le champ est sécant à son activité. On objectera la complexité d’une telle conception mais l’argument perdrait de sa force s’il conduisait à penser que nos modes d’organisation actuels sont simples et efficaces.
Sans doute faut-il redessiner des champs fédéraux : mieux vaut le faire à partir de grands axes avant de l’envisager en termes de fusion des fédérations actuellement existantes.
L’observation à grands traits de l’économie et des identités professionnelles potentiellement supports de l’action syndicale, suggère entre six et dix champs stratégiques, sachant que la qualification de « champ » ne préjuge pas de l’existence d’une ou de plusieurs fédérations pour en recouvrir l’étendue :
Par exemple, un champ « commerce » au sens large, un champ « industrie » incluant les services industriels rendus aux entreprises, un champ « transports » incluant l’ensemble des modes et les intégrateurs (logistique), un champ « services à la personne » incluant les services de santé, d’assistance sociale et de recherche d’emploi ; un champ « financier » regroupant l’ensemble des institutions et entreprises à vocation bancaire et assurantielle ; un champ « communication » allant de la presse à la Poste en passant par le multimédia, un champ « services publics et administrations de l’État », etc.
Il convient naturellement d’approfondir et ceci n’est suggéré qu’à titre d’exemple sur la façon de travailler. Si l’on doit viser à l’efficacité des prises en charge professionnelles, il faut insister, quelle que soit la répartition à retenir, sur l’importance des relations entre champs fédéraux, surtout dans l’optique de syndicats recouvrant plusieurs activités professionnelles. Cette amélioration des rapports interfédéraux, souhaitée depuis bien longtemps au sein de la CGT, sera d’autant plus assurée que la couverture des fédérations sera moins étroite. Chacune d’entre elles sera amenée, quel que soit le schéma final, à devenir des lieux de premières synthèses entre des diversités professionnelles, c’est-à-dire à constituer des instances de première confédéralisation de l’activité.
La cohérence des interventions de la CGT en dépend. Elle ne relève pas seulement d’un nouveau dessin des champs fédéraux. Elle doit être mieux définie également aux niveaux territoriaux qui doivent eux aussi être sérieusement réfléchis.
La « fabrication » des territoires
L’entreprise est devenue une entité trop instable pour asseoir un lien durable entre la CGT et ceux qu’elle ambitionne de représenter. Le territoire apparaît comme un point plus stable, autorisant des constructions pérennes. Mais le territoire doit être pensé comme une construction nullement donnée par la géographie. C’est à nous, c’est-à-dire à chaque niveau d’intervention de créer son territoire. Mais là encore, cette responsabilité ne peut être prise isolément : elle doit être pensée dans le cadre de bassins d’emplois, locaux, départementaux et régionaux. Dans nombre de cas, le bassin ne tient pas beaucoup compte des frontières départementales et les missions confiées au niveau politique aux régions ne peuvent que nous inciter à consolider ce niveau dans la construction des territoires pertinents d’intervention syndicale.
On ne peut pas se permettre d’accuser de nouveaux retards dans la prise en compte du niveau régional. Au début du XXe siècle, la CGT ayant pris la mesure de la réorganisation administrative de l’État, avait consolidé le rôle du département dans la vie interne de la confédération en généralisant le principe des unions départementales. Il faut mieux définir aujourd’hui la distribution des rôles entre les régions et les départements CGT, qui ne sont pas des instances extérieures les unes aux autres, mais des émanations d’un même syndicalisme appuyé sur l’action des syndicats. Là aussi, il faut tenir compte du milieu, les régions concentrées en deux ou trois départements peuvent avoir d’autres formes de coordination et d’attributions que celles qui en recouvrent sept ou huit. Comme dans la constitution des syndicats, comme dans la construction de nos champs fédéraux, il faut privilégier la modularité, l’adaptation, refuser le modèle unique dans lequel tout le monde doit se couler. Cette souplesse dans l’application doit s’inscrire dans un principe commun de recherche d’efficacité et de rupture avec les tentations protectionnistes ou patrimoniales.
Quelques principes simples doivent guider la répartition des rôles entre régions et UD, modulable, on l’a dit, selon leurs tailles respectives.
L’Union départementale doit rester un échelon de proximité assurant le suivi et la responsabilité de tout ce qui relève de la vie syndicale : la formation syndicale, les plans de développement et la syndicalisation, le suivi des délégués syndicaux et des élections professionnelles, l’aide aux UL et aux syndicats. En matière d’action revendicative, l’UD joue un rôle important d’articulation entre la région, les syndicats et les bassins d’emplois.
La conférence sur les unions locales tenue les 2 et 3 avril 2008 a montré l’extraordinaire hétérogénéité de cette forme. Elle garde tout son intérêt mais doit faire l’objet d’un examen au lieu pertinent, c’est-à-dire entre UD et région : certaines UL ne se justifient que par la force des habitudes car l’activité économique s’est déplacée et leur mission se réduit à celle d’une amicale. C’est un rôle utile mais qui ne suppose pas nécessairement de tenir congrès, conseils et réunions de bureaux et de recevoir pour ce faire des subventions.
Nombre d’UL jouent un rôle de « syndicats d’isolés » d’autant plus que, fréquemment, elles n’ont pas ou plus de contacts avec certains syndicats d’entreprise de leur zone. Elles ont du coup des attributions statutaires et des modes de financement qui ne correspondent pas à leur rôle réel. Ce statut n’est pas le bon. Pourquoi ne pas en faire d’authentiques syndicats multiprofessionnels dotés des structures et des moyens adéquats. La question des droits syndicaux n’est pas mineure, comme celle de leur place dans la ventilation des cotisations. Mais il faut d’abord se mettre d’accord sur ce que l’on veut faire. Le reste vient après et la complexité ne doit pas servir de refuge à l’immobilisme.
D’autres types d’UL existent qui pourraient être consolidées parce qu’elles jouent un rôle clé dans la structuration du territoire. D’autres enfin sont à créer. Cela se fait sur des zones industrielles et commerciales. Leur fonctionnement doit être ajusté aux organisations du travail de ces lieux et rendre des services effectifs aux salariés. Le conseil et l’assistance au quotidien aux salariés sur tout ce qui touche à leurs droits collectifs, bien sûr, mais aussi à l’individualisation de leur contrat de travail et au bénéfice personnel de leurs droits sociaux devraient relever des unions territoriales, les plus décentralisées et d’accès aussi direct qu’il est possible. Ce type de services aux salariés serait une version moderne et plus diversifiée de ce qu’ont été et sont encore les permanences juridiques. S’il est compétent et efficace, ce pourrait être une source importante de recrutement. Dans la présentation qu’elle fait d’elle-même, la confédération italienne CGIL, par exemple, insiste sur cette assistance individuelle pour tous les problèmes de caractère social, même en dehors de la sphère du travail. Ce type de structuration ne peut pas être opposé au syndicalisme de lutte car c’est à partir de tels points de contacts et d’une capacité réelle à répondre aux besoins des salariés que le reste de l’activité peut se constituer.
Cette fonction de l’interprofessionnel peut et doit être remplie par les UL mais elles doivent pour cela remplir quelques conditions : d’une part, elles doivent correspondre à un nombre suffisant de salariés à atteindre ; il ne s’agit pas de régler celle-ci par une règle statutaire mais par un débat entre régions UD et UL ainsi que nous l’avons indiqué ci-dessus. Si la présence décentralisée est indispensable, une UL peut très bien se doter de « points de contacts » ou « lieux d’accueils » en dehors de ses propres murs. Elles ont besoin ensuite de liens avec des structures professionnelles de proximité : syndicat d’entreprise ou local, union de syndicats locale ou départementale, car il y a besoin d’une maîtrise spécifique des dispositions contractuelles du secteur professionnel. Les relations entre structures doivent être conçues de manière souple, plus en réseau que dans un rapport hiérarchique. Dans le dispositif proposé, un syndicat peut d’ailleurs fort bien relever de plusieurs UL, ce qui délimite la nature des relations.
Les UL ont besoin, enfin, de droits et de moyens. La politique d’organisation décidée à tous les niveaux – du niveau confédéral à celui de la région et de l’UD – devra prendre en compte cette priorité que constitue la construction d’un tissu syndical par diffusion et rayonnement de la présence CGT.
L’organisation locale de proximité évoque encore trop des dispositifs statutaires lourds avec congrès, conseils et bureaux sans rapport parfois avec l’activité réelle hors de la vie de la structure elle-même. S’il ne faut renoncer ni aux débats collectifs ni aux moyens de contrôle démocratique que sont le vote de résolutions et l’élection des responsables, il convient néanmoins de réduire le fétichisme des structures qui nous fait répéter en de multiples lieux des rituels sans effet pratique sur la réalité.
Il faut à tous les niveaux, mettre à plat des possibilités nouvelles et inventer les formes qui nous libéreront des entraves que nous impose parfois notre propre fonctionnement.
Ce choix de structuration s’inscrit dans une certaine perception des enjeux centraux aujourd’hui pour notre syndicalisme. L’articulation entre droits individuels des salariés et droits collectifs susceptibles de les garantir est devenue une question cruciale qui conditionne tout l’avenir du mouvement syndical et, dès aujourd’hui, appelle des structures appropriées. Il est vrai que la montée d’un individualisme concurrentiel convient très bien aux marchés financiers. Elle se trouve favorisée par la désarticulation des structures des entreprises. Le développement d’une individualité sociale, dans une société solidaire, offrirait beaucoup plus de chances à chacun de conduire où il le souhaite l’aventure singulière de sa propre vie. Cela vaut pour le travail autant que pour toutes les formes de la vie sociale et personnelle. C’est pourquoi l’objectif d’une Sécurité sociale professionnelle n’est pas seulement pour nous une protection contre l’instabilité de l’emploi mais aussi l’instrument de cette liberté individuelle, permettant de faire des choix dans l’évolution de la carrière professionnelle et de les réussir.
Pour garantir de telles possibilités, au-delà des principes fixés par la loi, il faut négocier des accords collectifs dans lesquels seront inscrits des droits individuels et les conditions concrètes pour les exercer. Cela appelle bien sûr un rapport de force concret à construire mais aussi un suivi de l’application des accords conclus et surtout une aide syndicale sous forme de conseils et assistance à toute personne qui le souhaite. Ce schéma contractuel appelle à l’évidence des accords professionnels à différents niveaux pour concrétiser les droits dans les conditions spécifiques de la branche ou du domaine d’activité. Complémentairement, le conseil et l’assistance doivent devenir facilement accessibles dans la proximité territoriale. Il convient de rappeler le potentiel de contacts et de service liée au rôle de « conseiller du salarié ».
Il est grand temps de développer cette logique d’action quotidienne au service des salariés, car le patronat s’est investi depuis au moins 25 ans dans l’individualisation (d’abord du salaire, puis du contrat de travail) sans que nous lui opposions une construction alternative.
Une analyse plus poussée est nécessaire sur le contenu et l’articulation de toutes ces tâches des structures territoriales. Il faut travailler le fonctionnement en réseau entre militants et responsables de différents échelons des structures territoriales et professionnelles. Nous pouvons nous appuyer sur de « bonnes pratiques » ; elles existent dans nos rangs, il suffit parfois de les étendre, comme l’ont montré, par exemple, l’efficacité des mobilisations des travailleurs sans papiers. L’objectif est de promouvoir des initiatives et des mobilisations à chaque fois appropriées aux problèmes revendicatifs spécifiques et de les relier à travers des structures efficaces à des perspectives confédérales globales.
Pour tous sujets interprofessionnels et pour tout ce qui relève des intérêts généraux des travailleurs, la filière territoriale, solidement relayée au niveau régional, doit constituer à la fois le canal de la remontée démocratique de l’expérience et le réseau de diffusion des idées et de l’action. Dans cette optique, la qualité de relation à ce niveau avec les structures professionnelles recomposées nécessite une forte décentralisation de celles-ci aux différents niveaux territoriaux, une préférence pour les syndicats locaux tournés vers les PME et l’assistance à des syndicats selon les divers types proposés ici : syndicats d’entreprises, syndicats professionnels territoriaux (local, départemental, de zone, de site, de bassin, etc.) mais aussi syndicats multiprofessionnels. La question de l’organisation des sans emplois peut également trouver place dans un tel tissu local recomposé : plutôt que de les isoler dans des structures spécifiques réduites et sans accroche sur les problèmes généraux, c’est au cœur de l’activité interprofessionnelle que les sans emplois peuvent réellement trouver à la fois le soutien et les motivations de l’engagement syndical.
Qu’est-ce que la confédération ?
La confédération ne saurait échapper au réexamen de ses missions et à un questionnement sur son contenu. Trop souvent, la « confédération », c’est Montreuil, l’immeuble séparé dans une sorte « d’ailleurs » de l’activité syndicale des organisations. Il faut dépasser cette césure marquée par une conception du fédéralisme qui fait prévaloir l’autonomie des organisations sur la mise en commun. Être organisation confédérée, ce n’est pas, nous l’avons dit, partager un sigle et une histoire, c’est d’abord participer à une construction d’ensemble dans laquelle le tout ne peut être dissocié de ses parties. La confédération, bien commun de toutes les structures, doit devenir davantage un lieu de coproduction revendicative qui suppose coopération, complémentarité entre toutes les composantes de la CGT, pour une prise en compte d’intérêts et d’ambitions communs à l’ensemble des salariés.
On voit bien au fil des élections du privé comme du public, que la CGT progresse ou recule de manière parallèle, ce qui signifie qu’il existe bien dans les représentations sociales UNE CGT et pas une addition de perceptions séparées. C’est cela qu’il importe de cultiver en un temps où les salariés ont plus que jamais besoin des repères que seul un mouvement vraiment « confédéralisé » peut offrir.
C’est en fonction de ces impératifs et autour de la mise en œuvre des décisions du 49e congrès que peut se mettre en place une autre façon de travailler dans la confédération avec l’ensemble des structures de la CGT. La redéfinition du rôle et des missions des différentes structures de la CGT peuvent rendre plus fluides et plus directes les relations entre les structures de la CGT. C’est vrai pour les fédérations et organisations territoriales, c’est vrai aussi avec les syndicats. Cela devrait nous amener à revoir le rôle du CCN et lui donner un contenu plus marqué en termes de mise en commun. Trop d’organisations viennent aujourd’hui au CCN dans le souci de marquer leur territoire dans un rapport de relative extériorité aux décisions prises.
Les progrès enregistrés dans le fonctionnement de la CE au cours des dernières années doivent connaître un prolongement dans l’approfondissement du rôle du CCN : l’objectif est que celui-ci devienne un authentique lieu de mise en commun, une étape de confédéralisation de la réflexion faisant de chacun non pas un porte-drapeau de son champ professionnel ou territorial mais un participant à la vie de toute la CGT, rôle éclairé par l’expérience professionnelle et territoriale à partir de laquelle il s’exprime. La confédération ne doit plus être un lieu de cohabitation d’entités séparées, à distance d’une « équipe » confédérale assimilée au BC et aux permanents de l’immeuble confédéral, pour devenir un espace permanent de collaboration, d’échange et de coproduction de l’identité de la CGT.
Sans doute devrons-nous nous interroger sur la composition du Bureau confédéral, certaines façons de travailler entre espaces confédéraux et avec les organisations. Il faudra s’atteler à cela sans précipitation, avec le souci, comme dans les autres domaines, de ne pas déstabiliser le fonctionnement, en prenant le temps de l’étude préalable des consultations et des délibérations nécessaires.
C’est à partir d’une telle redéfinition des principes que le débat sur les structures doit être appréhendé. Il faut refuser d’entrer dans les disputes de territoires, les querelles sur la propriété de tels ou tels adhérents sachant que l’enjeu pour la CGT n’est pas de répartir autrement les adhérents actuels mais de doubler ou tripler le nombre actuel des adhérents. Seul cet objectif doit nous guider. C’est une grande ambition, elle est réalisable, elle suppose de sortir la tête du guidon, ce qui n’est pas facile dans le contexte actuel. Elle seule peut nous permettre de trouver les solutions à mettre en œuvre, sans procès d’intention ni crispation. Elle seule nous permet de reconstruire une CGT adaptée aux conditions de l’action syndicale aujourd’hui, capable de promouvoir un autre avenir et susceptible d’attirer à nouveau les salariés dans ses rangs.
Le groupe qui a rédigé le rapport était constitué de Louis Viannet (ancien secrétaire général de la CGT), Jean-Louis Moynot (ancien membre du bureau confédéral), plusieurs syndicalistes (Bernard Vivant, Bruno Dalberto, Graziella Lovera, Alain Renaud et Françoise Daphnis) et Jean-Marie Pernot (chercheur en science politique).