Hausse des salaires et « tous ensemble » : peine perdue ?

Publié le par Michel

Les journées d’action des 19 mars (salaires dans la fonction publique), et 26 mars (niveau des pensions de retraite) donnent l’occasion de revenir sur la question salariale, tout en élargissant le point de vue à l’ensemble des secteurs. Un précédent article avait exposé un début de réflexion sur les ambitions qu’il faudrait se fixer et les conditions qu’il faudrait commencer à construire. Les réelles difficultés du « tous ensemble » sur les salaires devraient nous imposer cette tâche.

Réunion d’Union locale : les journées des 19 et 26 mars sont évoquées. Un camarade a une réflexion immédiate : « on dirait que le chacun-dans-son-coin est de nouveau de mise, non ? ». La réponse a été très classique : « ben, le 19 c’est des salarié·es, et le 26 c’est les retraité·es, ce n’est pas pareil, ça me paraît évident ».

C’est cette évidence là qui ne peut plus l’être aujourd’hui. À qui s’adresse la revendication salariale intersyndicale de la Fonction publique le 19 mars ? Principalement au gouvernement. Pourquoi ? Parce qu’il est exigé une hausse de la valeur du point de la fonction publique.

À qui s’adresse la revendication de hausse des pensions de retraite de l’intersyndicale des retraité·es le 26 mars ? Au gouvernement, qui a seul le pouvoir de le faire : Plan de financement de sécurité sociale, valeur du point de la Fonction publique.

C’est tellement évident !

L’évidence devrait sauter aux yeux. Même si cette identité de destinataire des revendications des 19 et 26 mars n’est pas si facile à traduire dans la construction d’une action commune. Mais la question a-t-elle été seulement posée au niveau des intersyndicales des organisations des salarié·es de la Fonction publique, et de celle des retraité·es ? La réponse est dans la question. C’est comme si on avait décrété a priori que l’évidence de cette identité d’adversaire ne pouvait pas se traduire par une journée d’action commune. Comme s’il était inutile, pour ne pas perdre de temps, de poser la question aux équipes syndicales des lieux de travail pour les salarié·es, et des lieux de vie pour les retraité·es. Le schéma mental est bien ancré, la mécanique est bien rodée.

Cela paraît d’autant plus incompréhensible que l’intersyndicale confédérale, issue de la lutte commune contre la dernière réforme sur les retraites, existe encore. Car une autre évidence est acquise : ce réflexe mental et cette mécanique, auxquels il faut sérieusement s’attaquer, ont un rôle non négligeable dans les difficultés, plus qu’évidentes, à coordonner au niveau local des luttes sur les salaires. Continuer ainsi, c’est continuer à assurer au syndicalisme son inaction devant les difficultés réelles, que personne ne nie, pour construire cette coordination. C’est continuer à se dire : « c’est trop compliqué, ça ne marchera pas, on n’y arrivera pas », suivi d’un très long etc.

C’est possible, et nous devons le faire

Quelle est l’organisation syndicale qui a débuté un travail construit et organisé, et permanent dans le temps, pour convaincre équipes syndicales et salarié·es qu’une coordination des négociations sur les salaires est possible au plus proche du terrain ? Que les champs professionnel et interprofessionnel peuvent (et doivent) enclencher cette mise en mouvement ? Et qu’il y a tout à y gagner lorsque se déroulent des luttes salariales dans des lieux de travail situés dans une zone géographique proche ?

Certes nous recevons du matériel syndical commun (et adaptable) sur les salaires provenant du niveau interpro national [1]. C’est un matériel très utile pour chaque équipe syndicale. Mais il ne remplace pas une démarche interne, qui est une démarche d’orientation débattue et assumée, de coordonner ces luttes. Celles-ci ne peuvent pas l’être, à cette étape, au niveau interpro national, c’est une évidence. Cette orientation peut être le résultat d’un débat au niveau des fédérations et des unions interprofessionnelles, comme le Comité confédéral national à la CGT, par exemple. Une telle orientation serait parfaitement compatible avec le document d’orientation voté au dernier congrès confédéral. Et la commission exécutive confédérale serait chargée d’animer la mise en œuvre d’une telle orientation.

Cette orientation pourrait aussi fixer des grandes lignes revendicatives souhaitées, notamment sur les conditions de signature d’un accord : est-ce défendable de signer un accord salarial qui ne garantit pas au moins l’inflation ? que veut dire garantir l’inflation ? etc. Grandes lignes revendicatives qui seraient le fruit d’un débat animé et initié dans les syndicats de base, avec l’aide des fédérations et des unions interprofessionnelles. On peut parier sans crainte qu’un tel débat attirera un public syndiqué inhabituel dans les réunions syndicales.

Ce matériel syndical ne remplace pas une telle démarche, parce qu’il manque la rencontre et le débat du réseau militant au niveau local pour aborder le sujet des possibilités de coordination.

Quelle organisation syndicale a, sur la lancée de la lutte en 2023 contre la réforme des retraites, décidé de réunir ensemble, dans chaque département, ses militant·es (DS et membre des CSE) pour débattre, ensemble, de ce qui peut être engagé, ensemble, dans les luttes et les négociations salariales ?

L’objectif n’est pas de « faire un coup » une année pour voir, mais bien d’agir en interne pour transformer ses propres pratiques, en se donnant du temps, en étant convaincu·es que ça va fonctionner. Pas dans 6 mois. Peut-être même pas dans un an. Et alors ?

Ne dilapidons pas cette énergie que l’on sent encore présente et qui s’est forgée dans les 6 premiers mois de l’année 2023. On nous dit : « Il faut accueillir et proposer d’agir à toutes les personnes qui ont rejoint récemment nos organisations syndicales ». Et bien justement, voilà de quoi faire !

L’essentiel des luttes salariales, en termes de nombre de salarié·es touché·es, ne se déroulent pas par des luttes communes menées au niveau des fédérations et des branches. L’essentiel de ces luttes se déroulent au niveau des lieux de travail (établissement, entreprise, voire groupe). Et même là où cela paraît le plus difficile, dans les déserts syndicaux, les TPE-PME, les luttes pour des négociations salariales gagnantes ne sont pas inatteignables. Mais si les organisations syndicales mettent à leur ordre du jour le « comment se coordonner dans les luttes sur les salaires », alors elles joueront pleinement leur rôle. Elles auront agit sur ce sur quoi elles peuvent agir.


[1À la CGT comme à Solidaires.