Quelles ambitions pour la hausse des salaires ?
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La question de la hausse de salaire figure tout en haut de la pile des préoccupations syndicales depuis la défaite contre la énième réforme des retraites. On peut même dire qu’elle a repris la place qu’elle occupait avant le début de ce conflit contre le passage de l’âge de départ à la retraite à 64 ans.
La question de la hausse des salaires se situe principalement sur trois niveaux différents :
Interprofessionnel
D’abord au niveau interprofessionnel, avec la revendication classique sur le niveau et l’évolution du SMIC. Le constat est que, malgré le regain syndical sur les 6 premiers mois de l’année 2023 (conflit sur les retraites), la défaite subie pèse de tout son poids, et n’a pas permis d’obtenir un déblocage du montant du SMIC pour aller vers les revendications affichées. À ce niveau est aussi revenue une autre revendication, parfois mise en avant : celle des salaires dans les conventions collectives. Pour le moment, ce qui a été obtenu de la part du gouvernement, c’est un froncement de sourcils envers les organisations patronales. Là aussi, en l’absence d’un « mouvement d’ensemble » sur les salaires, gagner la revendication de fixer (par exemple par la loi) pour chaque convention collective, le premier niveau de salaire au niveau du SMIC, paraît un objectif difficilement atteignable, et donc purement théorique.
Fédérations et liens avec l’interpro
Ensuite, il y a le niveau des fédérations professionnelles. En dehors des quelques secteurs qui peuvent faire et ont fait récemment ensemble (raffinage, énergie, ports et docks, fonction publique), il y a eu quelques luttes portées à ce niveau. Mais si cela reste très minoritaire. Dans le secteur privé, le constat est que la plupart des fédérations n’arrivent pas à mettre en mouvement sur les salaires les salarié·es des branches et des conventions collectives qu’elles ont en charge. Et si on n’y arrive pas sur cette question cruciale, inutile de parler du reste. À ce niveau des fédérations, quelles pourraient être les ambitions de lutte sur les salaires ? Revendiquer de relever les salaires conventionnels est une évidence : mais comment y arriver ? Par une agitation générale dans la branche, en appelant les salarié·es d’agir toutes et tous en même temps pour les salaires de la convention collective ? Quel est l’état des lieux des débats dans les fédérations syndicales à ce sujet ? Des convergences intersyndicales se discutent-elles ? Il serait intéressant d’en savoir un peu plus.
De l’entreprise à la convention collective ?
Enfin, le dernier niveau est celui des entreprises (entreprise en tant que telle, mais aussi établissement, groupe). Ici, les fédérations ont un lien direct (quand il existe…) avec les syndicats, donc avec les salarié·es. Ce lien (là aussi s’il existe) peut aussi s’établir avec l’interprofessionnel (niveau départemental et local). Au-delà de la conquête d’un accord d’entreprise de hausse des salaires, donc limité à ce périmètre, est-ce que ces luttes, soutenues par les fédérations et les unions interprofessionnelles, peuvent entrer dans le cadre d’une stratégie d’accumulation de forces pour passer un seuil (qui ne peut être connu d’avance) et aller sur le terrain précédent, celui des salaires de la convention collective ? Peut-on, sans forcer de manière abstraite les rythmes, donner cette ambition aux luttes sur les salaires dans les entreprises ? Et si oui, à quelles conditions minimales faut-il arriver en termes de liens entre les fédérations (en général éloignées des lieux de travail, car ne disposant pas de moyens suffisants d’existence en proximité) et les unions interprofessionnelles (qui elles ont la proximité, mais sont généralement dépourvues de moyens et forces nécessaires à la hauteur des enjeux) ? On voit bien que, si c’est là une ambition que l’on souhaiterait donner aux luttes locales sur les salaires (et aujourd’hui, c’est à ce niveau seul qu’elles ont vraiment lieu), des évolutions nécessaires dans la structure de nos organisations syndicales sont indispensables. La faiblesse des liens, au plus près des salarié·es, entre les champs du professionnel et de l’interprofessionnel, en est la première marque évidente.
Quelle ambition pour les déserts syndicaux ?
Mais à ce niveau de l’entreprise, un autre point apparaît. On sait que seule une minorité de lieux de travail comptent un syndicat en capacité de mener des luttes sur les salaires avec un haut niveau revendicatif. On sait que l’immense territoire des TPE-PME et des « déserts syndicaux », sont très largement « hors sujet » sur la question salariale. La mise en avant, très justifiée d’ailleurs, de quelques conflits emblématiques, ne change rien à cette réalité. Alors, quelle peut être notre ambition syndicale ici ?
Est-il vraiment impossible de s’organiser pour une ambition qui peut paraître délirante et irréaliste : oui, on peut lutter et gagner ici, oui la négociation collective victorieuse pour des luttes gagnantes sur les salaires est possible ? Certes, à lire les sites internet syndicaux, on trouve, ici ou là, des échos de ce type de luttes dans les TPE-PME. Mais, encore une fois, l’arbre de ces luttes ne doit pas cacher la forêt des déserts syndicaux.
On voudrait dire ici que cette ambition n’est pas irréaliste. Mais que certaines conditions sont nécessaires. On ne va pas ici en énumérer une liste. Mais sans surprise, on peut tout de même, répéter, encore et encore, que ces conditions ne tiennent pas du méchant patronat et de l’affreux gouvernement, « qui ne font que s’enrichir, et enrichir toujours plus les riches, alors que les pauvres sont de plus en plus pauvres, oh lala, c’est vraiment dégueulasse ». Ritournelles incessantes à la une de trop nombreuses interventions en réunions et assemblées générales syndicales.
Non, ces conditions tiennent de l’état interne de nos propres organisations syndicales. Les ambitions revendicatives, ici les salaires, ne sont pas sans liens évident et forts, avec la manière dont nous sommes organisé·es dans nos propres organisations syndicales. Structuration syndicale, quand tu nous tiens…
Nous aborderons dans un prochain article les tentatives de généraliser ou de confédéraliser les luttes sur les salaires, à l’occasion des NAO ou non. Pour cela, envoyez-nous vos retours, même succints, sur les luttes salariales dans vos boîtes ou accompagnées par vos structures interpro ! Quel lien entre l’entreprise et l’extérieur, quelle utilisation du matériel syndical national sur le sujet, quelles modalités de lutte et quel résultat…