Historique : la CGT vote les 10 % pour l’interpro
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,Les débats et votes du dernier Comité confédéral national (CCN) de la CGT des 5 et 6 novembre 2024 sont le reflet d’un début de nouvelle direction prise sur les questions liées des moyens syndicaux et aux structures.
À l’occasion d’un débat sur la mise en commun de droits syndicaux dont disposent certaines fédérations et de syndicats nationaux, le CCN a voté une note dont une partie constitue une « révolution culturelle ». Au fil des années, les interventions répétées des UD ont fait monter en puissance le constat de la situation difficile de nombreuses unions locales et départementales (difficultés grandissantes et persistantes en termes de forces militantes pour les faire fonctionner) : une décision concrète pour y remédier vient d’être adoptée.
Le temps syndical pour l’interprofessionnel avant ce CCN
Jusque-là, ce sont les statuts de la CGT qui abordent la question du temps syndical qui doit être dédié aux structures que sont notamment les UL et les UD. Cela se trouve dans les Règles de vie, qui sont une annexe adoptée par le 50e Congrès confédéral de mars 2013 [1].
Que disent ces Règles de vie, dans le point 2.2. « La dimension interprofessionnelle de la CGT » de la partie II (« Les coopérations entre organisation ») ?
Tous les syndicats doivent concourir en permanence à cette dimension interprofessionnelle […] en constituant et en participant à la vie des structures interprofessionnelles dans chaque territoire en veillant à ce que celles-ci disposent des moyens nécessaires à leur fonctionnement […] Les Fédérations et les Unions départementales doivent en créer les conditions.
Et voilà. De bonnes intentions… qui ne sont que peu appliquées. De fait, aucun travail de conviction auprès des militants et des militantes des syndicats n’est réalisé pour faire de l’application de ces principes une des tâches primordiales de chaque syndicat, de chaque élu·e du personnel sur une liste CGT, de chaque délégué·e syndical·e de la CGT, etc. Résultat : les structures interpro de la CGT (UL et UD) sont sur les dents, et peinent à fonctionner pour beaucoup. CCN après CCN, les secrétaires de ces structures tirent la sonnette d’alarme et appellent à un sursaut pour pérénniser la présence de la CGT au niveau local.
10 % pour l’interprofessionnel
La décision extraordinaire du CCN de novembre 2024 est la suivante, dans la note intitulée « La confédéralisation des droits syndicaux » :
3.1 Tous les droits syndicaux sont un bien commun à toute la CGT [...] Il nous faut gagner que chaque syndicat flèche une part significative de ses droits, notamment en temps militant, vers les structures interprofessionnelles. 10 % doivent être un minimum.
Cette décision fait un salutaire rappel, qui est l’outil de base pour former et convaincre les équipes militantes dans les syndicats : le temps et les moyens gagnés n’appartiennent ni aux personnes mandatées, ni aux syndicats, mais à TOUTE la CGT. Il y a déjà là un effort d’explication à faire parmi un nombre certain de bases syndicales afin qu’une telle décision ne soit pas vue comme de nature « administrative » venant d’en haut.
Cette décision signifie aussi qu’il y a désormais obligation pour chaque syndicat, de mettre au minimum 10 % du temps syndical (heures de délégation en particulier) à disposition des structures interprofessionnelles.
Cette décision signifie alors qu’il est de la responsabilité de chaque fédération et de chaque UD de faire en sorte qu’elle devienne effective. Pas dans 6 mois peut-être, mais pas dans 10 ans non plus… D’ici le prochain congrès confédéral, en juin 2028, cette décision se doit d’être une réalité dans la majorité des syndicats CGT.
La mise en œuvre de cette décision démocratiquement adoptée va rencontrer des réticences. Mais elle va aussi rencontrer un accueil favorable. Et la possibilité pour de nombreuses et nombreux syndicalistes CGT de découvrir le militantisme dans une Union locale ! Elles et ils s’enrichiront alors d’une facette fondamentale du syndicalisme CGT.
De la discussion et de la formation seront nécessaires, mais au final on peut y arriver. On peut y arriver si les fédérations et les UD prennent leur propre vote au sérieux.
Une décision pour renforcer les syndicats
Un argument récurrent contre cete mutualisation des moyens est l’idée que la situation étant déjà difficile dans la boîte, ce serait affaiblir la CGT dans l’entreprise de consacrer du temps à l’interpro. Cette idée des vases communiquants entre le « pro » et l’« interpro » est sans fondement : le temps passé dans l’interpro, ce n’est pas du temps enlevé au « pro », c’est au contraire du temps qui permet bien souvent de renforcer la CGT dans sa propre entreprise.
C’est l’occasion par exemple de faire des réunions entre élu·es du personnel et délégué·es syndicaux d’un même secteur géographique, pour sortir chacun·e de son isolement, mieux se coordonner et partager les pratiques qui fonctionnent. De trouver de l’aide sur tel ou tel problème dans son entreprise, son administration ou sa collectivité locale. De créer des liens de confiance utiles le jour où il y aura une lutte et il faudra se retrouver sur un piquet de grève. De trouver de la motivation quand il y a une victoire quelque part et de partir regonflé·e à la rencontre de ses collègues.
Cette décision est aussi l’occasion de se défaire de l’idée qu’on pourrait être fort chez soi, dans son entreprise, au milieu d’un désert syndical. Dans une telle situation, le patronat fait tout pour lisser par le bas le rapport de force, en s’attaquant d’abord aux maillons de la chaîne les plus affaiblis. Vouloir préserver son « bastion », c’est se condamner à le voir basculer un jour ou l’autre, quand le patronat et l’État auront rogné tout ce qui l’entoure, développé la sous-traitance, les CDD ou les contractuel·les dans le public, changé la loi… Bref, être fort, c’est être fort partout, et tant que notre classe n’est bien organisée que dans certaines boîtes, elle reste menacée par toutes les stratégies de contournement de ces forteresses syndicales. Et être fort partout, ça demande que les syndicats les mieux dotés en moyens syndicaux consacrent du temps, de l’argent et de l’énergie à tirer vers le haut les syndicats et sections syndicales plus affaiblies.
Appliquer cette décision exige donc une évolution de la philosophie syndicale : il n’y a pas d’un côté le pro et de l’autre (si on a le temps) l’interpro, le pro ne peut exister au quotidien que dans l’interpro, à un niveau territorial, sinon on se condamne à faire du dialogue social inefficace. Cette décision est une occasion de faire du syndicalisme de classe, voilà pourquoi il faut s’en saisir.
Tous ensemble, tous ensemble… pour appliquer la note !
La note en question a fait l’objet d’un vote. Elle a été adoptée à l’unanimité moins 2 abstentions (fédérations des Transports et de la Métallurgie).
C’est un vote du CCN. Et donc en vertu des statuts de la CGT, toutes les organisations qui composent cette confédération se doivent d’appliquer ce vote. C’est ce que l’on apprend lors des formations de base de la CGT. Et on ne fera pas l’injure aux camarades qui ont représenté leur propre organisation lors de ce CCN (fédérations et UD) de ne pas connaître cette règle démocratique de base. Ils et elles vont donc s’atteler à l’appliquer.
Chaque commission exécutive de chacune des organisations qui composent le CCN doit donc maintenant se mettre à la tâche. La Commission exécutive confédérale doit elle veiller à ce que cela se fasse réellement, et en faciliter la mise en œuvre, notamment en coordonnant les fédérations et les UD.
Et comme on le dit souvent à la CGT, la base ne doit pas attendre le « sommet » pour s’organiser et bouger. Il ne s’agit pas pour les militantes et militants des UL par exemple d’attendre que cela se fasse. Ni de pointer du doigt les directions des fédérations et des UD. Nous disposons de cette note. Il s’agit maintenant de s’y mettre pour aider à sa mise en œuvre : adressons-nous à notre commission exécutive d’union départementale sans tarder.
On ne peut pas se plaindre du manque de temps militant pour l’Union locale alors même que désormais nous disposons d’un vote du CCN qui vise justement à résoudre ce problème !
[1] Voir l’ouvrage de référence sur le sujet : Les statuts de la CGT - Des origines à nos jours, Éditions syndicalistes, 2018.