La CGT Paris s’empare du débat sur la structuration

Publié le par Nicolas Bouchouicha pour Nicolas Bouchouicha

Lors de son Comité général du 3 juin 2025 (réunion statutaire entre deux congrès), l’Union départementale CGT de Paris a consacré une matinée à la réflexion sur son fonctionnement interne, et en particulier sur la manière dont sont structurés les syndicats à l’intérieur de la CGT. Les échanges ont été fournis, concrets et intéressants, avec de nombreux témoignages de l’inadaptation des structures syndicales actuelles, mais aussi des récits d’expérience qui parfois sortent des cadres figés pour permettre des luttes réussies, comme sur la sous-traitance du nettoyage. À noter aussi plusieurs interventions méfiantes des grands syndicats du public ou des professions à statut, qui reçoivent ces discussions comme une menace contre leur fonctionnement actuel (et ont craint de devoir se transformer en syndicats départementaux).

Nous reproduisons ici l’introduction au débat présentée par Nicolas Bouchouicha, secrétaire à la vie syndicale de l’UD, puis la résolution qui a été écrite et adoptée à l’issue des échanges. Gageons que ce texte, contrairement à d’autres, ne restera pas lettre morte, car le travail concret est déjà engagé, notamment sur le secteur des sociétés d’études ou des télécoms.

Introduction

Pourquoi ouvrir ce débat ?

Depuis maintenant de nombreuses années nous faisons face à des difficultés profondes qui apparaissent au grand jour à chaque mobilisation d’ampleur, ou tentative de mobilisation

La parution, le 8 avril dernier, des chiffres de la représentativité syndicale à l’issue du 4e cycle électoral doit être étudiée non parce qu’elle constitue une fin en soi mais pour ce qu’elle révèle. La CGT n’a, non seulement pas repris la première place à la CFDT mais en plus l’écart se creuse, certes légèrement mais se creuse néanmoins. Pourquoi ? Est-ce qu’ils répondent mieux aux aspirations du monde du travail que nous ? 0n sait que ce n’est pas le cas comme le prouve le résultat des dernières élections TPE. Si la participation s’y avère très faible la CGT arrive largement en tête preuve malgré tout que ce qu’incarne notre organisation aux yeux des travailleurs est largement positif (vote sur sigle). Est-ce lié aux problèmes du mode de scrutin ? À la disparition des élections Prud’hommes ? Même si ces éléments sont réels ils masquent le vrai problème derrière ces résultats électoraux c’est-à-dire notre déficit d’implantation. Il y a trop de déserts syndicaux, de pans entiers du salariat où nous sommes absents ou encore d’entreprises où nous ne parvenons pas à présenter des listes malgré la présence de syndiqué⋅es CGT dans celles-ci…

Au-delà des seuls résultats électoraux ce déficit impacte durablement et négativement notre capacité de mobilisation, notre capacité à créer le rapport de force nécessaire pour faire aboutir nos revendications.

Comment avoir un impact réel sur l’économie quand près de la moitié des travailleurs et travailleuses n’ont pas de contact avec la CGT.

Renforcer notre CGT est donc la tâche urgente à l’ordre du jour.

Dans le document préparatoire figure des éléments sur la démarche confédérale de renforcement et nous aurons l’occasion d’y revenir dans nos débats de ce matin.

Mais pour se renforcer il est essentiel d’avoir des structures qui permettent d’accueillir et d’organiser l’ensemble du monde du travail et c’est loin d’être le cas aujourd’hui.

Quand on parle renforcement on commence généralement par ce qu’on appelle « état de nos forces organisées »… mais quand près d’1 syndiqué⋅e sur 5 n’est pas rattaché⋅e à un syndicat peut vraiment parler de force organisée ? allons nous finir par parler de nos forces inorganisées ?

Le fond du problème est donc bien une question de structuration de notre organisation.

Depuis de trop nombreuses années le modèle type qui s’est imposé dans la CGT est celui du syndicat d’entreprise, modèle qui se perpétue sans aucune analyse de sa pertinence ni de son efficacité. Petit point historique, ce modèle vient de la reconnaissance de la section syndicale en 68 et du renforcement de l’institutionnalisation du syndicat dans l’entreprise. Négociation avec le seul délégué syndical pas avec la section, NAO [négociations annuelles obligatoires] dans les années 1980, CHSCT qui bien qu’utiles ont renforcé l’internalisation de l’activité syndicale dans l’entreprise délaissant au passage toutes les petites et moyennes entreprises qui gravitaient autour et dont les syndiqués se retrouvaient dans un même syndicat.

Si cela a pu faire sens à cette époque, force est de constater que les évolutions du capitalisme depuis n’ont absolument pas été prise en compte sur la manière dont nous nous structurons.

Le capitalisme a atomisé l’entreprise, sous-traitance en cascade, intérim, contrat court », nouvelles formes d’emploi (auto entrepreneurs, etc.) externalisation, concurrence entre service… le tout dans une logique de précarisation de plus en poussée du salariat avec entre autres conséquences un éclatement des identités collectives du monde du travail.

En maintenant notre modèle du syndicat d’entreprise nous laissons ainsi de côté d’innombrables travailleuses et travailleurs en particulier celleux les plus victimes de la précarité ; plus grave encore nous accompagnons dans une certaine mesure l’éclatement de ces identités collectives professionnelles contre des identités « d’entreprise », favorables au patronat dans la mesure où elles favorisent le repli sur soi et le corporatisme – soit l’antithèse du syndicalisme CGT.

Et il va sans dire que ces identités d’entreprises n’aident pas à l’implication dans l’interpro…

Cette question des identités collectives peut paraitre anecdotique pourtant elle est fondamentale. L’histoire de notre syndicalisme CGT est celle de la construction des identités ouvrières qui permettent la construction de solidarités concrètes et d’aspirations et de revendications de portée générale. Sans cela il n’y a pas de syndicalisme de transformation sociale. Ce n’est pas pour rien que le capitalisme s’y est attaqué…

Changer nos formes d’organisation est donc indispensable face à cette situation.

Et adapter notre structuration ce n’est donc pas s’adapter au capitalisme c’est au contraire se donner les moyens d’unir le monde du travail dans la bataille que nous menons.

Dans le capitalisme d’aujourd’hui il n’est plus question de seulement tenir l’entreprise mais de tenir toutes les chaines de productions

Notre réflexion doit donc s’articuler autour de la création de syndicats professionnels territoriaux à même de regrouper des travailleuses et travailleurs de différentes entreprises d’un même champ professionnel ou participant de la même chaine de valeur et permettant à toutes et tous de participer pleinement à la vie démocratique de la CGT.

Si nous parlons de syndicats territoriaux et pas départementaux ce n’est pas pour rien. Si à Paris il est presque évident que le département est cohérent en termes de périmètre géographique ce n’est pas forcément le cas partout. Un territoire ce n’est pas seulement une désignation administrative, c’est aussi une histoire, sociale et politique, un bassin d’emploi, et une identité géographique qui participe à l’identité collective ouvrière. C’est un vecteur de solidarités interprofessionnelles.

Cette structuration ne répond certes pas à tous les problèmes mais elle nous permet de répondre à une grande partie des défis auxquels nous faisons face. Elle règle la question des syndiqué⋅es isolé⋅es ainsi que celle de l’accueil des nouveaux adhérent⋅es notamment celles et ceux ayant adhéré en ligne. Elle nous permet de rayonner sur toutes les structures économiques du territoire et d’organiser un vrai travail d’implantation en s’appuyant sur des syndiqué⋅es d’une même profession (à l’image du travail d’implantation à SFR qui est fait sur Paris avec le syndicat Telecom départemental), d’avoir un vrai travail de renforcement avec des structures qui permettent de déployer largement la démarche renforcement confédérale.

Cette structuration en syndicats territoriaux professionnels permet aussi d’enfin mutualiser les moyens syndicaux. C’est un enjeu immense pour notre syndicalisme CGT. On ne peut plus se contenter d’avoir des moyens concentrés sur certaines entreprises et des déserts à côté. Les moyens syndicaux doivent faire vivre toute la CGT et pas seulement la CGT dans une entreprise…

Le travail revendicatif en syndicat territorial sera aussi plus complet, n’étant plus centré sur les seules problématiques d’une entreprise mais bien de toute la chaine de production, de tout le champ professionnel, La construction du rapport de force change de dimension en impliquant tout le champ professionnel dans chaque mobilisation, intérimaires, sous-traitants, TPE liées, auto-entrepreneurs, etc. Foi plus grande dans l’action collective notamment dans les petites entreprises qui sont appuyées par les militants des plus grandes.

Action interpro renforcée par la nature même des syndicats d’industrie qui, sortant de l’entreprise font plus rapidement le lien avec la nécessité de la solidarité interpro.

Enfin, la démocratie syndicale est plus vivante lorsqu’elle sort des murs étroits de l’entreprise. Elle se nourrit de la situation générale du champ professionnel et pousse les syndiqués à s’impliquer plus largement dans les sujets qui concernent toute la CGT.

Pour avancer sur ces changements de structuration il ne peut être question de rester passif et d’attendre que cela se fasse tout seul. Il nous faut impulser des discussions avec les fédérations concernées en y associant à chaque fois les syndiqué⋅es concerné⋅es. Si la question de la structuration concerne toute la CGT elle ne peut pas se décider sans les syndiqué⋅es.

Notre UD a déjà un travail en cours sur ces questions avec plusieurs fédérations mais il est essentiel que toute la CGT à Paris comme ailleurs s’empare du sujet et s’y implique. Que la question soit débattue dans les syndicats directement, dans les ULs aussi.

Pas question non plus de créer artificiellement ces syndicats sans que les syndiqué⋅es soient pleinement acteurs et porteurs de cette structuration.

Si notre UD entend porter ces débats à tous les niveaux de l’organisation elle ne peut le faire sans la pleine implication des syndicats parisiens, des UL et des unions de syndicats. Et donc sans la pleine implication des syndiqué⋅es.

C’est pour ça que nous vous proposons qu’à l’issue de nos échanges notre Comité général adopte une résolution sur la question de la structuration professionnelle qui puisse servir de base de débats dans toutes nos structures et être utile dans l’animation de réunion de syndiqués, d’AG, etc.

Qu’elle fasse vivre notre démocratie syndicale sans laquelle notre syndicalisme de classe, de masse et de transformation sociale n’existe pas.

Pour finir avant de vous laisser la parole je dirai en résumé que ce qui doit nous guider dans cette réflexion c’est :

1) quelle organisation pour être à la hauteur de nos ambitions ;

2) pour gagner il ne suffit pas d’être fort chez soi il faut être fort partout !

La résolution

Le comité général de l’UD a débattu largement de la structuration professionnelle de notre organisation.

Il ressort de ces débats que le modèle actuel du syndicat d’entreprise laisse de côté des pans entier du monde du travail. En effet, le capitalisme, avec l’appui des pouvoirs publics, a éclaté l’entreprise et les collectifs de travail, que ce soit dans le privé ou le public, multipliant les statuts de travail vers toujours plus de précarité.

Résulte de ce constat, une faiblesse d’implantation avec près de la moitié des travailleuses et travailleurs sans lien avec la CGT, un isolement d’un nombre toujours plus élevé de syndiqué⋅es, avec près d’un⋅e syndiqué⋅e sur cinq qui n’est rattaché⋅e à aucun syndicat, et un grand nombre de syndicats centré sur une seule entreprise, dont les militants sont coincés dans une logique institutionnelle de dialogue social et coupés de l’activité générale de la CGT.

Face à cette réalité, ne rien changer à notre structuration c’est se condamner à laisser la situation se dégrader et rester dans l’incapacité de construire les rapports de force nécessaires pour affronter le capitalisme et gagner sur nos revendications.

Notre comité général considère qu’il est important d’ouvrir le débat pour mettre en place des syndicats territoriaux professionnels à même d’organiser toutes et tous les travailleuses et travailleurs d’un même champ professionnel ou participant d’une même chaine de valeurs.

Cette réflexion doit nous permettre :

  • De ne laisser aucun⋅e syndiqué⋅e sans syndicat, aucun salarié ne devant rester en dehors de la CGT sous le prétexte qu’il n’existe pas de structure apte à l’accueillir comme l’affirmait déjà le 48e congrès confédéral.
  • De dynamiser la démocratie syndicale en la sortant des frontières étroites de l’entreprise.
  • De mutualiser les moyens syndicaux et financiers afin de développer largement l’activité syndicale vers l’ensemble du monde du travail.
  • De renforcer nos capacités de mobilisation et de construction du rapport de force.
  • De remettre au centre les questions d’identités collectives base de l’identité de classe et rempart au repli sur soi corporatiste.
  • De favoriser par la conscience de la dimension territoriale, les liens entre pro et interpro, au plus près des réalités de travail du salariat.

Notre comité général appelle l’ensemble des structures de la CGT a s’emparer de ces questions, à les mettre en débat à tous les échelons de l’organisation avec l’implication de tou⋅tes les syndiqué⋅es pour construire cette structuration professionnelle territoriale afin d’être en capacité de faire face aux enjeux de la période et de faire vivre réellement notre syndicalisme CGT, de classe, de masse et de transformation sociale.