La stratégie évolue dans l’IG Metall
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Même dans un modèle syndical très institutionnalisé et bureaucratisé, des évolutions intéressantes ont lieu afin de répondre à la crise syndicale : c’est ce que montrent deux articles sur la puissante fédération de la métallurgie en Allemagne, IG Metall, publiés par l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (Ires).
Le syndicalisme majoritaire en Allemagne, celui de la DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund – Confédération allemande des syndicats) et surtout de ses fédérations, dont l’emblématique IG Metall, connaît depuis plusieurs années maintenant de réelles difficultés : baisse des adhésions, chute de la couverture conventionnelle de branche, etc. Or ce dernier aspect est un des piliers du « modèle syndical allemand ».
C’est ce que montre un article récent sur « les stratégies d’IG Metall en matière de négociation collective » : la couverture conventionnelle de branche des salarié.es entre 1996 et 2021 est passée :
- Allemagne de l’Ouest, tous secteurs confondus : de 70 % à 45 % ;
- Allemagne de l’Ouest, secteur privé : de 66 % à 40 % ;
- Allemagne de l’Est, tous secteurs confondus : de 56 % à 34 % ;
- Allemagne de l’Est, secteur privé : de 48 % à 26 %.
Cet article se penche sur l’action de la fédération de la métallurgie, IG Metall, dans deux Länder de l’Est du pays, la Saxe et la Thuringe, là où les taux de couverture conventionnelle sont les plus faibles du pays : autrement dit, il étudie les stratégies mises en œuvre pour redresser la barre. On y trouve des conclusions intéressantes sur le débat conventions collectives de branche/accords d’entreprise, et donc sur les modalités de l’action syndicale.
Le modèle de la convention collective de branche s’appuie sur la négociation préalable au conflit, celui-ci n’intervenant qu’au signal des directions syndicales. Or, comment faire lorsqu’une partie non négligeable du patronat tourne le dos à ce modèle et refuse de s’engager dans ces conventions, laissant les salarié·es sans couverture conventionnelle de branche, ce qui détourne des salarié·és de l’adhésion ? La fédération IG Metall a donc décidé, dans ces deux régions de l’Est du pays, de changer de stratégie, et d’engager la lutte entreprise par entreprise. Et les résultats sont jugés positifs, puisque des accords sont gagnés, donc des acquis sont engrangés… et les adhésions sont au rendez-vous.
Mais cela n’est possible que si l’on fait appel à la mobilisation sur les lieux même du travail, dans une lutte par le bas, sans les classiques grèves d’avertissement censées donner du poids à la bureaucratie syndicale lors des négociations engagées avec le patronat. On évoque désormais en Allemagne le changement de stratégie d’IG Metall à partir de 2010 comme « un retour aux origines », vers ces méthodes d’action anciennes de construction du syndicalisme au XIXe siècle. Les concepts de « développement » et « d’organizing » sont devenus communs, et le rôle de la grève est repensé : elle revient au cœur de l’action.
La lecture de cet article peut être très utilement complétée par celle d’un autre article, toujours dans la Chronique internationale de l’IRES, sur les « stratégies de renouveau syndical envers les travailleurs précaires » à partir du « cas des intérimaires dans la métallurgie ». L’auteur décrit la nouvelle stratégie de l’IG Metall vers les intérimaires, partie des salarié·es dont elle ne s’était pas vraiment occupée jusque-là. La fédération a donc réussi à changer en interne sur ce plan, par une « appropriation sélective des expériences nord-américaines d’organizing » qui légitiment le « renouvellement des pratiques syndicales ».
Références
- Michael Whittall, Ingrid Artus, Andreas Fischer, Judith Holland, « Les stratégies d’IG Metall en matière de négociation collective : à l’est, rien de nouveau ? », Chronique Internationale de l’IRES, 2023/3, no 183, p. 67-73.
- Marcus Kahmann, « Stratégies de renouveau syndical envers les travailleurs précaires : le cas des intérimaires dans la métallurgie », Chronique Internationale de l’IRES, 2017/4, no 160, p. 52-69.