Combien faut-il de personne pour faire la révolution ?

Publié le par Pablo

Derrière ce titre racoleur se cache la dernière vidéo de la chaîne YouTube Fouloscopie de Mehdi Moussaïd, chercheur spécialiste du comportement collectif des foules. Il y vulgarise la recherche sur le sujet de la propagation de comportements dans une population. Prenons le titre au mot, et voyons ce que nous dit la science…

Les méthodes et le vocabulaire utilisés dans la vidéo sont empruntés à l’épidémiologie (la science qui étudie la propagation de maladie au sein d’une population). Il faut comprendre que les concepts sont tout à fait transposables à d’autres domaines : la propagation dans une population d’une information ou d’une mode par exemple.

On apprend dans la vidéo qu’il faut distinguer deux types de contamination : les contaminations “simples” d’un côté, et les contaminations “complexes” de l’autre. Les premières sont immédiates au contact, comme par exemple la contraction d’une maladie (quand on se fait tousser dessus, on a une certaine chance de tomber malade ou non), ou le partage d’une photo de chat sur les réseaux sociaux (quand on voit la photo passer, il y a une certaine chance qu’on clique pour la partage ou pas). Le second type de contamination en revanche demande une sorte d’investissement de chaque individu pour qu’il se fasse contaminer, et il faudra alors un certain nombre de contacts dans un intervalle de temps réduit pour le “convaincre”. Un des exemples donnée dans la vidéo est le lancement d’une ola dans un stade de foot : les études montrent qu’il faut au minimum une trentaine de personnes synchronisées et regroupées pour réussir à démarrer le processus.

Pour le premier type de contamination, la méthode qui fonctionne le mieux pour une propagation la plus rapide et la plus efficace possible est de passer par des individus “centraux” au sein de la population, ceux et celles qui disposent d’une grande écoute : les leaders d’opinion, les influenceur·euses, etc. Cela s’explique par le fait que ces individus en touchent directement un grand nombre d’autres et que la contamination est immédiate.

Des études qui ont été menées sur des données issues du réseau social Twitter pendant les printemps arabes révèlent qu’en revanche, pour ce qui est des contaminations complexes, les individus “centraux” n’ont que très peu d’influence : la seule méthode qui permet une propagation rapide et efficace nécessite au contraire que ce soit des individus en “périphérie”, les plus nombreux possibles, qui démarrent le processus. Pour améliorer la propagation, il est également nécessaire que le maillage des contacts soit le plus dense possible : non seulement il faut un maximum d’individus dans le “réseau” mais en plus il faut que ceux-ci se côtoient au maximum les un·es les autres.

Appliquées à l’idée de grève générale, ces conclusions ne seront surprenantes pour aucun·e syndicaliste révolutionnaire. Mais il est rassurant de voir que la science étaye la méthode de la construction des contre-pouvoirs, et il est pratique de disposer de cette vidéo de vulgarisation pour la partager aux innombrables personnes qui demandent régulièrement aux directions syndicales d’appeler à la grève générale comme si il existait un bouton magique déclencheur de grève quelque part dans les locaux de la CGT.

Non, la grève générale ne peut pas partir du centre ; elle doit nécessairement être construite en périphérie du réseau syndical, c’est-à-dire partout, dans chaque boîte, dans chaque établissement. Et pour qu’elle se généralise, il est indispensable non seulement que le réseau syndical soit présent massivement partout (sans oublier de secteur ou de territoire), mais aussi qu’il dispose d’un maillage robuste permettant des liens réguliers et solides entre les syndiqué·es à la fois des différentes boîtes/établissements d’un secteur (le rôle des fédérations) mais aussi et surtout entre les syndiqué·es d’un même territoire (le rôle des unions locales et départementales).

Au passage, on comprend aussi l’efficacité redoutable des armées de bots [1] utilisées par l’extrême droite sur les réseaux sociaux.

Bon visionnage !


[1Le mot “bot” est la contraction de “robot” (en anglais), il désigne tous les agents automatisés par des programmes informatiques, en l’occurrence pour générer des personnes fictives sur les réseaux sociaux, typiquement pour marteler certaines idées ou associations d’idées afin de propager de fausses informations. Voir par exemple sur Le Monde : Les États-Unis démantèlent un réseau de « bots » russes sur X.