Les revendications CGT pour la reconnaissance de la pénibilité
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Après la nouvelle défaite sur les retraites en 2023, deux attitudes se présentent. Soit « passer à autre chose », puisque la loi est entrée en vigueur. Soit continuer la lutte sous d’autres formes, avec notamment l’objectif de faire payer au patronat (privé comme public) le maximum possible, de limiter la casse, et de maintenir la question des retraites au centre du débat et des conflits. C’est bien entendu la seconde option qui est la seule raisonnable, pas celle d’accepter la défaite. Comment se positionne la CGT sur le sujet de la pénibilité, comment a évolué sa revendication, quelles questions et quels problèmes cela pose ?
La CGT a clairement choisi la seconde option. Fin juin, elle a lancé une campagne pour l’été avec un paquet revendicatif sur les salaires, etc. mais aussi sur la retraite. Dans cette initiative, on retrouve le thème de la reconnaissance de la pénibilité et les bonifications de trimestres suite à l’exposition à des situations de travail pénibles. La secrétaire générale de la CGT a alors annoncé qu’il faudrait articuler l’action de la confédération, lors de négociations interprofessionnelles et avec le gouvernement où ce sujet sera abordé, avec la lutte sur les lieux de travail avec les syndicats et les fédérations pour gagner des accords de reconnaissance de pénibilité pour des départs anticipés à la retraite. La fédération de la Chimie a par exemple travaillé sur une proposition d’accord. Cependant, un petit retour historique permet de constater un recul revendicatif de la CGT sur ce sujet, recul qu’aucune structure, fédération ou Union départementale, n’évoque.
Quels repères historiques
Au niveau interprofessionnel, des dispositifs ont déjà existé.
- Reconnaissance de la pénibilité dans les Assurances sociales (mises en place en 1930) : droit à la retraite à 55 ans (au lieu de 60 ans), ou alors départ à 60 ans mais avec une pension plus élevée, pour les secteurs où la mortalité constatée était supérieure à celle de la population.
- Ensuite la Sécurité sociale reprend le dispositif des Assurances Sociales dans l’ordonnance du 19 octobre 1945 (troisième alinéa de l’article 64) : pour certains métiers définis par décret, droit de partir à 60 ans au lieu de 65 ans avec 40% du salaire moyen des dix dernières années et après 30 ans de cotisation. Cet alinéa est ensuite devenu l’article L334 du le Code de la Sécurité sociale suite à un décret de 1956. Puis une commission du Conseil supérieur de la Sécurité sociale était chargée en 1961 d’établir les modalités d’application de cet article L334. Cela n’a rien donné, elle a abouti à la conclusion qu’il était impossible de définir de façon exhaustive les caractéristiques d’une activité particulièrement pénible ! Puis cet article a été abrogé par une loi de décembre 1971. On retrouve la CGT revendiquant la prise de ces décrets, par exemple dans une brochure de propagande pour les élections de 1962 des administrateurs aux caisses de la Sécurité sociale.
- Puis en 1975 une loi dite en faveur des métiers manuels, est adoptée, suite aux puissantes luttes ouvrières après 1968 : possibilité de partir à 60 ans, au lieu de 65 ans, avec le taux plein de 50 % des 10 meilleures années et après 37,5 années de cotisations, pour certains métiers.
- Il y a eu ensuite, dans la même veine, une loi de 1977 en faveur des mères ouvrières (certains métiers) ayant élevé au moins 3 enfants.
Ces lois ont été abrogées en 1982 lors de la mise en place de la retraite à taux plein à 60 ans.
La revendication actuelle de la CGT : un recul incompréhensible
Dès son congrès de 1951, une fois passée la période de la « bataille de la production », la CGT a revendiqué l’application des dispositions de l’ordonnance du 19 octobre 1945 sur la Sécurité sociale reconnaissant la pénibilité dans l’assurance-vieillesse.
Les congrès de 1985 et 1989, et les repères revendicatifs de 2001 précisent la revendication : possibilité de partir dès 55 ans et bonification d’une année pour 3 années d’exposition à des travaux pénibles. Ce qui veut dire 4 trimestres de bonification pour 3 années d’exposition. Pour obtenir la bonification maximale, 5 ans, afin de pouvoir partir en retraite à 55 ans, sachant que l’âge légal de départ était fixé à 60 ans, cela voulait dire 15 années d’exposition à un (ou des) métier pénible.
La loi Fillon de 2003 (nouveau recul sur les retraites), dans son article 12, avait prévu des négociations syndicats-patronat sur la reconnaissance de la pénibilité, sur au moins deux volets : prévention et compensation. Les négociations ont démarré en 2005 et ont traîné en longueur.
En février 2008, lors d’une séance de négociation, la revendication CGT a évolué. Elle est devenue : 1 trimestre en plus pour une année d’exposition. Alors qu’à notre connaissance, cela n’a pas donné lieu à un débat interne faisant évoluer les repères revendicatifs. Ces repères sont validés par les organisations du Comité confédéral national (CCN), donc par les fédérations et les Unions départementales.
D’où vient cette évolution ? Quelle instance de la confédération a décidé de porter cette nouvelle revendication ? Quelles sont les raisons de ce changement ?
La comparaison avec la revendication en vigueur jusque-là est édifiante. Certes, pour des petites périodes d’exposition à des situations de pénibilité, la différence peut paraître minime. Certes la « formule revendicative », du type « 1 année = 1 trimestre » est plus facile à retenir.
Mais enfin, derrière ce recul, il y a des situations concrètes vécues par de nombreuses personnes. Et la différence n’est pas négligeable, lorsque l’on sait que des millions de salarié·es passent de nombreuses années en situation de travail pénible.
Passer de l’ancienne revendication, « 3 années d’exposition = 1 année de bonification », à la nouvelle revendication, encore actuellement en cours, de « 1 année d’exposition = 1 trimestre de bonification », cela revient à dire que la CGT exige désormais 5 années de plus d’exposition à des situations de travail pénible pour bénéficier d’un départ à 55 ans au lieu de 60 ans.
Ce n’est pas une amélioration des conditions de travail qui justifie ce recul revendicatif qui, une fois exprimé en années d’exposition, permet de voir très concrètement l’ampleur de ce recul.
Reprendre le débat ?
Ne serait-il pas judicieux que le débat sur cette question soit repris ? Une décision finale qui se situerait au niveau du CCN, conformément à ce qui est prévu, donc par les fédérations et les Unions départementales, portée par les débats dans les syndicats.
La Fédération CGT des industries chimiques a récemment publié un document très intéressant sur la reconnaissance de la pénibilité au travail. Il s’agit de « L’argumentaire de la FNIC-CGT, partie 1 – Dossier Retraite/Pénibilité ». Ce document est une proposition fédérale d’accord sur la reconnaissance de la pénibilité. Dans ce document, on retrouve le droit à un départ anticipé à 55 ans suite à des bonifications de trimestres. Cette fédération est connue pour faire un travail très sérieux sur les questions revendicatives, que ce soit au niveau de son champ d’intervention, mais aussi au niveau interprofessionnel. Sur plusieurs sujets, les revendications qu’elle défend vont plus loin que celles de la confédération CGT. Il alors est étonnant de retrouver dans ce document la reprise de la « nouvelle » revendication CGT sur la pénibilité, amoindrie, apparue en 2008.
En conclusion, ce sujet démontre les dysfonctionnements au niveau confédéral de la construction et de l’adoption des revendications de la CGT. Lorsque la CGT a fait évoluer sa revendication sur le montant du SMIC, il y a eu adoption définitive par un vote au CCN.
La mise en place des « repères revendicatifs », au lieu de l’adoption des revendications par des congrès confédéraux, a eu l’avantage de permettre une souplesse et une réactivité plus importante. Certes la « légitimité » de ces repères peut paraître moins importante car leur adoption ne tient plus d’un congrès confédéral. Mais le Comité confédéral national est une instance de la confédération, il a donc aussi toute légitimité. Et c’est bien son rôle d’animer les débats sur les revendications de toute la CGT, à partir de ceux qui doivent se dérouler dans les syndicats, avant de décider pour toute la CGT. Prendre plus de temps, ici en faisant fonctionner la démocratie syndicale sur les revendications communes, c’est au final gagner en force « d’unité interne », c’est contribuer à regagner ce qui manque tant à la CGT depuis trop longtemps : « faire confédération ».