La grève des femmes, revue et corrigée
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pour Marianne GarneauNous traduisons une note critique du livre Féminisme pour les 99 % : un manifeste (publié en français en 2019). Elle a été écrite par Marianne Garneau, formatrice syndicale et « organizer » du syndicat Industrial Workers of the World, qui anime le blog Organizing.work. Depuis plusieurs années, les appels à la « grève féministe » pour le 8 mars n’ont que peu d’effets en termes de grève. Cette note donne des pistes d’explication… et ouvre des pistes pour nous donner les moyens d’imaginer et de construire ce que serait vraiment une grève des femmes.
Il faut réinventer la grève. Et ça passera par la grève des femmes, selon le livre Féminisme pour les 99 % : un manifeste, écrit par Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser.
Les autrices sont les organisatrices de la « Grève internationale des femmes » (International Women’s Strike, IWS), inspirée des manifestations massives en Espagne (contre le sexisme et le patriarcat), Argentine (contre les violences faites aux femmes) et en Pologne (contre l’interdiction de l’avortement). Cette grève consiste en des manifestations le 8 mars dans des villes du monde entier, avec de plus petits événements tout au long de l’année. Si le 8 mars est depuis longtemps la journée internationale des femmes, la Grève internationale des femmes ne date que de 2017 : après trois ans d’existence, cet ouvrage livre l’aboutissement des réflexions des organisatrices et autrices sur cette tactique.
Cette recension du livre se veut une contribution au champ des « critiques de la grève » – ce site [organising.work] a lui-même été inauguré par un article sur le sujet (écrit par une femme) et ces débats, comme toutes les réflexions qui cherchent à repenser la grève, m’intéressent beaucoup.
La grève des femmes, selon les autrices du Manifeste, est une nouvelle forme de lutte des classes – la seule, semble-t-il, capable de tenir compte de la diversité des oppressions auxquelles les femmes font face : harcèlement et violences sexuelles, érosion des droits reproductifs, exploitation économique, recul de l’État social…
La grève classique, sur le lieu de travail, ne reflète pas l’étendue de l’exploitation et de la souffrance des femmes sous le capitalisme, qui ne sont pas cantonnées au travail salarié. Les femmes ne travaillent pas seulement pour un salaire, elles portent également le fardeau du système de travail gratuit qui fait tourner la société et perpétue le capitalisme – le travail reproductif, qui fabrique des personnes, est nécessaire à la génération des profits. Les femmes reproduisent la force de travail en donnant naissance et en élevant des enfants, elles nourrissent et prennent soin des travailleurs adultes qui peuvent ainsi aller bosser, elles font tenir les ménages, les familles et les communautés.
La grève syndicale typique, selon les autrices, se cantonne à un seul des terrains du combat féministe. Elle se trouve donc incapable de prendre en compte la nature plurielle des oppressions et exploitations subies par les femmes sous le capitalisme, et du même coup les dimensions variées (politique, écologique, sociale, économique) de la crise capitaliste actuelle. La grève des femmes – aussi appelée « journée sans les femmes » – est une nouvelle manière de faire grève qui prend en compte toutes ces facettes, en « démocratisant et étendant la portée [de la grève] ». Elle « anticipe une nouvelle phase de la lutte des classes », où l’on n’aura plus à choisir entre les questions sociales et économiques, entre le marxisme et les luttes identitaires.
Malheureusement, la « grève des femmes » repose sur deux principes bien fragiles : une hostilité gratuite envers les syndicats, et une évacuation totale de ce que serait le contenu concret de la grève du travail reproductif.
Hostilité envers les syndicats
De nouveau, je suis favorable à redéfinir la grève, pour plein de raisons. Les grèves sont devenues des événements décidés d’en haut, largement symboliques plutôt qu’ancrées dans le pouvoir des travailleur·es. Jane McAlevey, qui veut revenir à la vraie grève – la grève économique – l’a bien montré. Elles ne permettent pas de renforcer le pouvoir des travailleur·es sur la production : elles les placent matériellement et symboliquement en dehors du lieu de travail. Les grèves, qu’elles soient symboliques ou économiques, sont généralement gérées par des bureaucraties syndicales éloignées de leurs bases qui cherchent à consolider leur propre pouvoir plutôt que de permettre aux militant·es d’aller à l’affrontement avec leur hiérarchie.
Donc oui, les grèves ont leurs limites. Mais les autrices du Manifeste ne proposent aucune alternative réaliste. Elles affichent une hostilité de principe envers les syndicats, sans formuler aucune critique pertinente des grèves qu’ils organisent, et font comme s’ils prétendaient à une exclusivité rétrograde de la grève qui en exclurait les femmes :
En visibilisant le pouvoir des femmes, [les grèves des femmes] menacent le « monopole » des syndicats sur la grève. En montrant leur refus d’accepter l’ordre des choses, les grévistes féministes re-démocratisent la lutte des classes et réaffirment ce qui devrait être l’évidence : les grèves appartiennent à toute la classe ouvrière, pas à une fraction de celle-ci ni à une organisation particulière.
Comme si les syndicats excluaient par chauvinisme les femmes de la lutte. Les autrices les décrivent comme largement inutiles à cette lutte, parce que leur force et leurs effectifs auraient décliné avec la désindustrialisation, et inutiles pour les femmes parce qu’elles ne travaillent pas dans l’industrie mais dans des boulots non qualifiés du secteur des services.
Ce récit pose plusieurs problèmes. D’abord, les femmes noires, par exemple, sont surreprésentées dans les syndicats par rapport au reste du salariat. Les autrices tournent en dérision la réduction du prolétariat aux « mecs blancs hétéros »… mais c’est là clairement leur propre image des militant·es syndical·es : l’ouvrier blanc des usines automobiles d’autrefois, par opposition à la femme noire ou hispanique d’aujourd’hui, qui travaille dans le public, pour une ville, un hôpital ou l’université.
Ensuite, c’est une image trompeuse du déclin syndical. Il n’y a aucun lien de nature entre les usines et les syndicats (c’est une fable partagée par la droite comme par la gauche). Les syndicats ont été largement réprimés dans ce secteur, qui dominait le marché du travail au milieu du XXe siècle. Avant que ces industries ne soient organisées syndicalement, le travail y était mal payé et peu prestigieux. Le déclin du taux de syndicalisation sur ces 40 dernières années est le fruit d’une bataille politique que le camp du travail est en train de perdre, alors même que le nombre d’emplois dans l’industrie progresse de nouveau aux États-Unis. Les métiers de service ne sont pas par essence des métiers à bas salaire et dénués de prestige : le problème, c’est qu’ils n’ont jamais connu les mêmes taux de syndicalisation – même si un travail est en cours pour y remédier, et ce travail doit être encouragé plutôt que dénigré ou de se voir nier sa capacité à faire face aux oppressions variées que subissent les femmes.
Pourquoi ? Parce que le travail est un lieu où les femmes ont du pouvoir, dans la mesure où, même dans le secteur des services, elles ont entre leurs main le « levier de la production ». Partout où les femmes touchent un salaire, elles sont en capacité de refuser les tâches qu’on leur assigne. Voilà le levier. Voilà pourquoi l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est bien plus faible entre les travailleur·es syndiqué·es qu’entre celles et ceux qui ne le sont pas.
Ce pouvoir peut être utilisé pour les problèmes particuliers que rencontrent les femmes sur le lieu de travail. En voici un petit exemple : des femmes que j’ai aidées à organiser dans un restaurant ont maintenant une pièce dédiée pour tirer leur lait, pour celles qui reviennent travailler après l’accouchement. C’est du jamais-vu dans la restauration à New-York, alors que c’est obligatoire. Le propriétaire a refusé pendant des années d’aménager cette salle, même après avoir été poursuivi en justice. Il a fini par céder parce que ces femmes se sont organisées et ont mis une vraie pression sur leur employeur par la grève et des arrêts de travail, et le patron a désormais une peur bleue de ses salariées.
La grève internationale des femmes est-elle une grève ?
Le statut de la grève internationale des femmes semble difficile à trancher : grève sur les lieux de travail, ou non ? Beaucoup d’efforts sont faits pour la différencier de ces grèves cantonnées au lieu de travail et « principalement économiques », mais elle reste bien étiquetée comme une grève, plutôt que comme une simple manifestation. L’argument est le suivant : c’est une « grève » parce que si vous y êtes, vous n’êtes de fait ni au boulot, ni à la maison en train de faire du travail domestique. En réalité, elle ressemble plutôt à une manifestation : les actions sont généralement de brefs rassemblements à la fin de la journée de travail, et surtout la grève internationale des femmes ne développe pas la capacité des travailleuses à initier et coordonner des actions collectives. Les femmes sont simplement invitées à participer, et quelques enseignantes et universitaires, prenant leur courage à deux mains, ont décidé d’en être. (Pour être claire, je ne fais pas partie des puristes qui pensent qu’une grève ne peut avoir lieu que sur le lieu de travail.)
Pour le dire autrement, si la grève internationale des femmes est une grève (et il y a, indiscutablement, une invitation à quitter le travail dans le matériel diffusé), alors elle n’est pas très bien organisée. Dire aux travailleuses de ne pas aller bosser, sans commencer par initier une dynamique protectrice d’action collective (ce qui implique de construire des relations de confiance entre les travailleuses qui sont sur un même lieu de travail), c’est un très mauvais conseil d’organisation. Ce n’est que quand plusieurs travailleuses agissent de concert qu’elles peuvent décider de fermer boutique pour la journée (à moins qu’elles ne soient en CDI).
Si la grève des femmes n’est qu’une invitation à se montrer pour celles qui le peuvent, alors ce n’est pas une grève, mais une manifestation. Et c’est très bien. Les manifestations, c’est chouette, surtout quand elles sont synchronisées à l’échelle mondiale. Et d’ailleurs, je compte bien y aller.
Incapables de conduire une vraie grève (et c’est compréhensible : ce serait une tâche titanesque), les organisatrices de la grève internationale des femmes déclarent que les grèves sur le lieu de travail sont un mode d’action périmé : elles transforment ainsi la faiblesse de leur initiative en position politique.
Une action sans revendications
Si la grève internationale des femmes est une grève, c’en est une qui fait fi de tout ce qui donne du sens à une grève et la rend victorieuse : l’appui sur un réel rapport de force pour avancer des revendications précises.
Et de même que l’initiative ne mise pas vraiment sur un arrêt du travail, elle n’a pas non plus d’objectifs revendicatifs spécifiques. Le but semble être plutôt d’attirer l’attention sur la myriade de problématiques auxquelles font face les femmes, depuis l’effondrement climatique à l’oppression coloniale, et de relier ces problématiques au rôle du capitalisme. Mais rien n’indique que la grève des femmes demande quoi que ce soit de précis, auprès de qui que ce soit – au-delà de « la fin de toutes ces choses ».
Les autrices expliquent qu’on a besoin d’une réorganisation complète des relations sociales, ce que je partage. Mais elles s’abstiennent de décrire ce pour quoi nous nous battons : « notre Manifeste ne prescrit pas les contours précis d’une alternative, c’est dans le cours de la lutte elle-même que ces contours doivent être dessinés ». Elles disent tout de même que cela ne pourra être accompli à travers des réformes légales.
Elles donnent même l’impression de vouloir remettre à plus tard la question du changement réel : « nous cherchons à construire une force anti-capitaliste suffisamment large et puissante pour transformer la société ». L’objectif est donc assez vague : elles semblent vouloir constituer des groupes ou des coalitions dès maintenant… dans l’espoir de transformations qui se produiraient au fil de l’eau.
Tout cela me rappelle la tendance, à gauche, qui consiste à soutenir le plus sérieusement du monde que notre objectif premier est et doit rester le communisme intégral. Des crèches gratuites dans tous les États-Unis, par contre, voilà qui n’est pas réaliste.
Mais les avancées concrètes, revendication après revendication, ne font pas qu’améliorer la vie des gens : elles permettent d’afficher des résultats, et ainsi de renforcer le pouvoir de notre classe. Si vous n’essayez pas d’atteindre quoi que ce soit de particulier, personne ne peut vous le reprocher. Et si vous n’agissez pas en fonction d’objectifs mesurables, vous ne devenez jamais plus fort·es.
Lors des formations au syndicalisme d’action directe, j’insiste sur le fait que le syndicalisme ne consiste pas uniquement en des tactiques sympas, comme des lâchers de banderole, des manifestations ou des grèves. L’action directe n’a de sens que si elle prend place dans le cadre de considérations stratégiques plus larges : une injustice ou un problème à régler (quelque-chose de gagnable), avec une date butoir, une cible auprès de laquelle porter ces exigences (quelqu’un qui peut les accorder), une tactique bien choisie, des participant·es sélectionné·es avec soin, et un plan pour durcir la lutte si les demandes n’ont pas été accordées à la date butoir.
La grève internationale des femmes n’a rien de tout cela (au contraire de la mobilisation de masse en Pologne). Ce qui ne veut pas dire que c’est impossible. Deux des autrices sont des universitaires en vue de The New School, qui n’a pas de crèche, précarise ses doctorant·es et, je suppose, ne promeut ni ne paie ses enseignantes au même taux que les enseignants. Fraser et Arruzza ont largement réussi à faire participer à la grève les étudiant·es et enseignant·es de New School (dont je suis d’ailleurs une ancienne élève, et je fait partie des admiratrices de Fraser comme d’Arruzza). Voilà un levier pour peser sur une institution qui est déjà sous pression. Mais il n’est pas utilisé.
Troublantes symétries
La triste conséquence de cette absence de revendications est qu’elle cadre bien avec le capitalisme néolibéral contemporain que les autrices essaient de critiquer.
Le capitalisme, nous répètent-elles, est rusé. Par exemple, il a poussé beaucoup de travailleur·es (et, comme elles le soulignent justement, particulièrement des femmes) à occuper des boulots précaires, mal payés, peu prestigieux, à temps partiel, temporaires, du secteur des services, tout en les décrivant avec le vocabulaire trompeur de la « flexibilité », de « l’économie du partage » ou de « l’économie de plate-forme ». Ces nouvelles formes d’emploi sont justifiées par la polyvalence qu’exigent les évolutions de la main-d’œuvre, alors qu’il s’agit d’une stratégie consciente pour convaincre les travailleur·es qu’iels sont facultatif·es et que les employeurs ne leur doivent rien.
Mais la tactique de la grève des femmes est elle aussi flexible, floue et n’implique pas d’arrêt de travail. « Voilà autre chose que les vieilles grèves économiques ennuyantes auxquelles vous êtes habitué·es » répond bien au « nous ne sommes pas vraiment votre employeur » des emplois informels et temporaires d’aujourd’hui. La supposée obsolescence des syndicats, avancée par les autrices du Manifeste, est aussi mise en avant par… le capitalisme néolibéral contemporain. L’ambiguïté de la tactique de la grève internationale des femmes est bien adaptée au capitalisme
Grèves et travail reproductif
La grève des femmes serait la seule à pouvoir prendre en compte l’autre réalité de l’exploitation féminine sous le capitalisme : le travail reproductif.
Je dirais que l’insistance des autrices sur cet aspect est salutaire. Le sujet a été théorisé depuis au moins les années 1970 mais reste largement négligé, y compris à gauche, alors qu’il est essentiel pour comprendre le capitalisme et le travail. Les autrices soulignent à raison que le capitalisme repose sur ce type de travail tout en niant son existence. Avec le néolibéralisme, le capitalisme exige toujours plus de la sphère reproductive en payant moins que le salaire décent et en attaquant l’État social, et ce sont les femmes qui en pâtissent.
Comment changer cela ? C’est ce qui m’intéresse : le site est intitulé « Organizing work » (et je suis moi-même mère de deux petits enfants). Le travail reproductif peut-il être organisé ?
Les autrices soutiennent que la grève des femmes porte aussi sur le travail reproductif : « en refusant non seulement le travail salarié, mais aussi tout le travail gratuit nécessaire à la reproduction sociale, [les femmes] ont dévoilé le rôle essentiel de celui-ci dans la société ». Voilà une affirmation bien ambitieuse pour une série de manifestations, mais tout de même : comment marche la grève des femmes ?
Après tout, il y a beaucoup de différences entre le travail productif et le travail reproductif, qui donnent l’impression que la grève n’est pas une tactique adaptée au deuxième. Lorsque je fais grève sur mon lieu de travail, mon but est que mon employeur perde ses profits… pour toujours. Si je fais grève de mon travail reproductif (par exemple pour participer à la grève des femmes), soit j’aurais une pile de choses à faire plus tard (cuisine, courses) ; soit ce travail devra être délégué à quelqu’un d’autre, payé·e ou non. Les autrices notent que c’est exactement ce qui se passe quand des femmes des classes moyennes-supérieures délèguent leur travail reproductif à des travailleuses immigrées, en payant des nourrices et des domestiques pour prendre soin de leur maisonnée et de leurs enfants, de manière à ce qu’elles-mêmes puissent avoir un emploi.
Les grèves sur le lieu de travail sont une action collective des travailleur·es contre les patrons et leurs profits : elles renversent les rapports de pouvoir. Quelles relations de pouvoir sont modifiées par la grève du travail reproductif ?
D’abord, contre qui faisons-nous grève ? J’ai appris récemment que le patron du restaurant que j’avais organisé ces trois dernières années décrivait cette période comme « la pire de sa vie ». Ça me fait plaisir, ça veut dire qu’on est en train de gagner. Mais si je fais grève du travail reproductif, je ne veux pas que mes enfants souffrent. On n’a pas la même relation d’opposition avec les bénéficiaires de notre travail reproductif qu’avec notre patron. Mais si on ne fait pas grève contre celles et ceux qui sont l’objet de nos soins – les enfants, épouses malades ou parents âgés, alors qui est visé ? Nos époux bornés ? Les hommes patrons, les politiciens et tous ceux qui ne réalisent pas tout ce que font les femmes ?
La grève des femmes islandaises de 1975 est souvent présentée ainsi : quand 95 % des femmes ont arrêté de travailler, refilé les enfants à leurs pères, ce fut la pagaille dans les entreprises, les hommes furent débordés, et les magasins en rupture de stock de saucisses (faciles à préparer et à servir). Le choc fut tel qu’une loi a notamment été votée pour garantir des rémunérations équitables du point de vue du genre.
Bien sûr, faire grève contre des individus et leur état d’esprit ne déclenche pas de vrai changement structurel. Même en Islande, les choses se sont déroulées un peu différemment : l’action d’une journée faisait partir d’une campagne plus large organisée par les syndicats, les partis politiques et des associations. Malheureusement, les femmes Islandaises gagnent de nouveau seulement 64 % du salaire des hommes.
Les luttes sur le travail reproductif ne peuvent que se dérouler sur le terrain des institutions qui régissent la vie sociale, et en premier lieu l’État social. Il faut donc les cibler pour opérer des changements structurels sur le travail reproductif, par exemple en revendiquant la gratuité et la généralisation des crèches, un système de santé universel, ou le renforcement de l’État social (ou, pour ce qui nous intéresse ici, le salaire au travail ménager).
Élaborer de telles revendications et construire un rapport de force à l’échelle des politiques publiques est moins évident que de se battre sur son lieu de travail, et, comme les autrices le disent, cela n’adviendra certainement pas en élisant Hillary Clinton et consorts. Mais il y a parfois des victoires, grâce auxquelles il existe des droits reproductifs, des écoles publiques et une législation contre le harcèlement sexuel. Les autrices soulignent que ces mesures laissent toujours de côté les femmes pauvres ou de couleur : il y a donc un enjeu à élaborer de meilleures revendications, et la puissance qui permettra de les obtenir. Les manifestations feront peut-être même partie du chemin qui permettra d’accomplir ces changements (même si je ne comprends pas encore complètement en quoi ces actions frappent le travail reproductif par la grève).
Les autrices du Manifeste expliquent qu’une remise à plat complète de nos institutions est nécessaire, sans parler du dépassement du capitalisme. Elles disent que les changements légaux sont insuffisants. Mais encore une fois, éviter de se donner des objectifs précis, en s’appuyant sur des leviers concrets et contre des cibles spécifiques est une erreur. Cela renvoie à la manière dont le capitalisme a vidé de leur sens nos institutions démocratiques en délégant les décisions à des technocrates. « Ce n’est pas vraiment nous qui décidons », disent les politiciens qui sabrent aveuglément l’État social pour satisfaire le marché. Ce à quoi la grève internationale des femmes répond : « nous n’attendons rien de vous ».