Le commerce parisien toujours dans les luttes
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Les 14 et 15 novembre 2024, l’Union syndicale CGT du commerce et des services de Paris a tenu son 18e congrès. Cette structure organise les salarié·es du commerce, des services, de l’hôtellerie-restauration, ou encore de la sécurité. Retours d’un militant qui y assistait pour l’intepro.
Une organisation au service des luttes
« Au service des luttes », c’est une formule qui revient souvent dans les congrès CGT. Mais ici, les mots décrivent bien la réalité : la vie de l’US commerce est rythmée par une succession de luttes, à un rythme assez frénétique. D’ailleurs, ce sont bien les luttes, et les victoires qu’elles apportent aux salarié·es, qui étaient au cœur du congrès.
D’abord dans les interventions planifiées : la parole a largement été donnée à des militant·es qui ont pris part à une grève récemment. Des salarié·es d’un Monoprix ont raconté comment elles ont dégagé par la grève leur directeur qui ne les respectait pas et avait instauré un système de favoritisme pour l’attribution des jours de récup (si efficacement qu’il n’a même pas pu rentrer dans le magasin récupérer sa veste) ; les camarades de la toute jeune section de Décathlon ont raconté leur bataille sur la santé et les conditions de travail, notamment après la mort d’un intérimaire ; une travailleuse et élue au CSE de 2Theloo a rappelé les nombreux combats au sein de cette entreprise qui assure la gestion des toilettes publiques dans les gares SNCF (absence de convention collective, mise en danger des salarié·es, licenciement pour avoir accepté un pourboire d’un euro…) ; les salarié·es de la société de visites touristiques à vélo Orange Fox Bike, qui ont raconté (en russe, avec traduction simultanée !) leur grève encore en cours contre une rémunération de 20 € les trois heures de travail, avec des journées de 10 heures…
Les délégué·es, loin de débattre des virgules du document d’orientation comme on le voit parfois, ont plutôt parlé de leurs luttes. De comment iels avaient fini par oser se lancer. De comment iels avaient appris à ne pas croire aux promesses du patron. Des centaines voire milliers d’euros de salaires et de primes obtenus dans quantité d’entreprises, des accords signés. Une succession de prises de paroles déterminées et émouvantes, qui ont insufflé un espoir et un souffle si nécessaire dans le contexte politique actuel.
Le congrès a ainsi été un véritable moment de formation, avec des échanges sur les meilleurs moyens de gagner : untel raconte comment dans son restaurant les NAO donnent systématiquement lieu à des AG, qui deviennent le seul interlocuteur possible pour le patron qui ne peut ainsi négocier confortablement avec un délégué syndical isolé et incapable de mobiliser les salarié·es, comme on le voit trop souvent. Une autre raconte comment sa section est intervenue sur un cas de violences sexistes et sexuelles, et explique par le détail comment repérer, dans les changements de prise de pause d’une collègue, qu’elle est peut-être victime d’agressions et comment réagir syndicalement.
Ce résumé ne doit pas donner l’impression d’un vaste exercice d’autosatisfaction. Au contraire, c’est avec une grande lucidité que la direction sortante a abordé les différentes luttes, avec leur succès (quasi-systématique)… mais aussi leur limite, en particulier à propos des luttes qui n’ont pas lieu.
Renforcement contrarié, mais renforcement quand même
Toute cette activité se traduit en effet par une hausse des adhésions, qui retrouvent environ leur niveau pré-Covid, grâce aussi à une gestion méticuleuse des demandes d’adhésion et une défense juridique jamais déconnectée du syndicat. Mais le développement de la CGT dans le commerce à Paris reste entravée par le conflit qui oppose la fédération du secteur à sa déclinaison parisienne : la première, largement financée par les fonds du paritarisme, n’a guère besoin d’adhérent·es, et ceux du commerce parisien, qui ont la drôle d’idée de vouloir importer des pratiques démocratiques dans les congrès fédéraux, sont vus d’un très mauvais œil. La fédération ne verse donc pas un euro à sa structure parisienne (qui reverse bien, pour sa part, ses cotisations à la fédération). Celle-ci ne fonctionne donc que sur fonds propres, grâce aux cotisations de ses adhérent·es, et à une petite aide financière de l’Union départementale. Et si la structure parvient à l’équilibre financier, c’est au prix d’une économie constante de bouts de chandelle, et d’un nombre de permanent·es bien inférieur à ce qu’il faudrait pour être à la hauteur du salariat parisien du commerce et des services (sans parler des bâtons que la fédération place dans les roues de l’US dès qu’elle en a l’occasion).
Au-delà de ces conflits internes à la CGT, le congrès a été l’occasion de plusieurs constats sur les difficultés de la mobilisation dans le secteur. Ces constats ne se sont pas limités aux obstacles placés par le capitalisme : réformes du Code du travail, ubérisation, déréglementations, sous-traitance, franchises et locations-gérances pour contourner les droits collectifs.
Des limites à l’action de l’US commerce telle qu’elle se fait aujourd’hui ont aussi été identifiés. La première, c’est la difficulté à sortir les luttes de l’entreprise (hôtel ou magasin) : elles y restent souvent cantonnées, et même pour une même enseigne il est difficile aux militant·es de sortir de leur établissement. Il y a bien du soutien entre les entreprises quand il s’agit de tenir un piquet de grève, mais par contre il est très dur d’imaginer une grève simultanée entre magasins de la même marque. Et les plus grosses victoires ont souvent lieu dans les fractions les plus stables du salariat du commerce et de l’hôtellerie (notamment les palaces).
L’autre limite est le rôle essentiel des permanent·es dans l’appui aux militant·es : l’un des objectifs des années à venir sera que la place des permanent·es diminue, pour créer encore davantage de collectif et de militant·es capables de sortir de leur boîte et d’aider à faire vivre l’US en tant que telle, de renforcer la formation des équipes d’élu·es, etc.
Quelle organisation syndicale pour le salariat d’aujourd’hui ?
Au-delà du cas du commerce parisien, ce congrès est l’occasion de poser la question des modes d’organisation de salarié·es précaires, peu syndiqué·es et dispersé·es. Force est de constater que la structuration départementale, avec des moyens mutualisés pour l’ensemble du secteur pour tout le département, produit des résultats qu’un éclatement en une multitude de syndicats d’entreprise ne pourrait jamais atteindre.
Il suffit de comparer la vigueur de l’activité syndicale dans le commerce à celle de secteurs comparables (santé privée, artisanat de bouche…) pour mesurer très vite à quel point cette US commerce est un outil précieux pour le syndicalisme de classe de classe : elle permet de ne pas se disperser, de tisser un réseau entre les luttes, de produire peu à peu une conscience interpro chez des élu·es qui sont naturellement cantonné·es dans l’entreprise sinon… On a même envie d’aller plus loin encore : si ça marche pour des branches variées (l’US commerce aujourd’hui c’est déjà le commerce, les hôtels-cafés-restaurants et la prévention-sécurité), on pourrait imaginer dans chaque département une US au périmètre large, qui s’occuperait de l’implantation syndicale dans toutes les entreprises de services du secteur privé, avec ses permanent·es dédié·es.
C’est à ce prix que le syndicalisme peut espérer s’implanter pour de bon dans ce salariat aujourd’hui si essentiel, et pourtant si peu syndiqué et mobilisé.